Mehdi Mohammadi explique le bluff perdant d'Obama
Depuis
la révolution islamique, l’Iran é toujours été un pays déroutant pour les
observateurs, réussissant à déjouer les calculs les plus subtils de ses
adversaires. Après avoir spéculé sans fin sur les divisions internes du régime,
puis avoir tenté de fomenter sans succès une révolution dite «verte», les
ennemis de la république islamique lui infligent un embargo économique et la menacent d’une guerre.
Devant
ces agissements et menaces, il semble que le gouvernement iranien garde la tête
froide (plus que votre serviteur en tout cas) et analyse la situation comme
étant en fait plus délicate pour ses adversaires que pour lui-même.
C’est
en tout cas ce qu’on peut comprendre du propos de Mehdi Mohammadi qui, fait
intéressant, est avant tout un spécialiste de la politique interne de son pays et
non de sa diplomatie. M. Mohammadi collabore avec le journal iranien Kayhan, de
tendance «conservatrice.»
Selon
M. Mohammadi, les Etats Unis ne veulent pas d’une guerre et il est hors de question que le
régime sioniste se lance seul dans une telle opération.
L’analyse
de M. Mohammadi est que la menace de guerre est avant tout un moyen de pression
sur… l’Union Européenne afin qu’elle décide et applique des sanctions
économiques contre l’Iran.
De fait
l’Iran ne croit pas à la menace militaire américaine et a, de toute façon,
procédé à quelques démonstrations de force pour faire comprendre à Barack Obama
et à son équipe que le prix d’une guerre, même victorieuse pour les USA,
pourrait être exorbitant.
D’où
des signaux d’apaisement très clairs adressés par le gouvernement des Etats
Unis à l’Iran même si publiquement des menaces continuent d’être agitées pour
satisfaire le lobby sioniste. N’oublions pas que M. Obama brigue un deuxième
mandat…
Selon
M. Mohammadi, Européens et Américains, après toutes ces vaines menaces, se retrouvent
dans une position de faiblesse devant l’Iran. Pas seulement parce que, du point
de vue iranien, le risque d’agression militaire est écarté mais parce que les
pays occidentaux sont désireux d’enrayer une hausse de coût de l’énergie qui
plombe un peu plus l’économie mondiale
alors que, comme l’observe judicieusement l’auteur, le boycott du pétrole
iranien par l’Union Européenne n’est pas encore effectif.
Patrick
Seale dit, d’une manière différente, des choses assez semblables.
par Mehdi Mohammadi, analyste politique et collaborateur de Kayhan
The Race for Iran (USA) 19 mai 2012 traduit
de l’anglais par Djazaïri
Une méthode utile pour comprendre vraiment ce
qui s'est passé dans les pourparlers d’Istanbul [an avril] dernier est
d'analyser ces entretiens à travers le prisme de «ce qui n'a pas eu lieu."
Dans les six mois qui ont précédé ces
négociations et avec le souvenir des discussions d’Istanbul I encore dans les
esprits des Occidentaux, la principale préoccupation des P5+1 portait sur la
manière de forcer l’Iran à renoncer à sa persévérer et à ajuster ses calculs
stratégiques.
Le problème immédiat pour les Etats Unis et
Israël était avant tout d’empêcher le programme iranien d’enrichissement de l’uranium
de franchir une nouvelle étape de sa progression. En conséquence, une vague d’opérations
de « semi-hard power » sous la forme de cyber attaques, de l’assassinat
de scientifiques nucléaires, de restrictions sur l’importation par l’Iran de
certains composants et, élément le plus important, la fermeture ce que les Américains appellent la « source
de financement » du programme nucléaire a été entreprise.
Cependant, si nous nous servons du critère de
l’expansion des installations et de la quantité de matériaux nucléaires
produits par l’Iran comme mesure de l’accélération ou du ralentissement du
programme nucléaire iranien, ces actions [occidentales] n’ont atteint aucun de
leurs objectifs. Des scientifiques ont été assassinés, mais ces crimes n’ont
fait que convaincre d’autres scientifiques qu’ils doivent travailler plus dur
et venger leurs martyrs. Les cyber attaques ont visé des installations
nucléaires mais leur seul résultat a été que non seulement les spécialistes
Iraniens ont développé des compétences dans la technologie de défense des
systèmes, mais ils sont rapidement devenus capables de lancer des cyber
attaques généralisées en territoire ennemi. Les sanctions ont incité les
producteurs Iraniens à chercher de nouvelles méthodes, ce qui a permis dans un
court laps de temps à atteindre l’autosuffisance dans certains domaines qui
dépendaient des importations avant l’imposition des sanctions. Les ressources
financières pour le programme nucléaire iranien ne se sont pas taries, du fait que
l’augmentation des revenus pétroliers causée par l’effet psychologique des
sanctions – et gardons à l’esprit que les sanctions pétrolières n’ont pour l’instant
été appliquées ni par l’Europe, ni par l’Amérique et qu’elles ne sont encore
que virtuelles – a été bien plus forte que la réduction minime subie par les
exportations pétrolières iraniennes.
Il s’ensuit que l’Iran n’était pas suppose aller
aux négociations d’Istanbul 2 avec son programme nucléaire au bord de la
faillite. L’Iran est en fait entré dans les négociations avec l’usine de Fordo
sur le point d’entrer en activité et après avoir produit plus de 100 kilos d’uranium
enrichi à 20 %et quelques centaines de kilos de réserves d’uranium enrichi à 5
%. Ce combustible produit localement a été
chargé dans le réacteur de Téhéran et testé aves succès, tandis que le choix de
nouveaux sites nucléaires a été arrêté et que des programmes de développement
de la production nucléaire ont été annoncés.
Les opérations de “semi-soft power” de l’occident
n’ont ni stoppé, ni ralenti les avancées nucléaires iraniennes. Elles ont eu au
contraire pour conséquences l’approfondissement, l’accélération et la
sanctuarisation du programme, ce qui constitue le premier pilier sur lequel s’est
basé la stratégie de négociation de l’Iran à Istanbul.
Deuxièmement, avant les discussions d’Istanbul,
tous les efforts de l’Occident visaient à convaincre l’Iran que si les
négociations n’avançaient pas dans le sens souhaité par certains membres du
p+1, l’option militaire était fermement mise sur la table. Sur la base d’une
division du travail entre les Etats Unis et Israël, Israël était censé menacer
l’Iran de l’attaquer militairement s’il ne renonçait pas à son programme
nucléaire et l’Amérique était supposée soutenir ces menaces. La théorie israélienne
était que si l’Amérique n’approuvait pas ces menaces, l’Iran ne les
considérerait pas comme crédibles et ne les prendrait pas au sérieux. Mais est-ce
que quelqu’un a vraiment eu l’intention d’attaquer l’Iran ? Il a été en
fait révélé qu’un tel plan n’a à aucun moment été envisagé.
Les objectifs de la menace militaire
américaine et israélienne étaient de deux ordres.
Premièrement, le consensus des experts
Israéliens et Américains était que l’Iran ne stopperait son programme nucléaire
que s’il sentait que la pression à ce sujet
évoluait vers une menace pour l’existence de la république islamique. Le
résultat de ce calcul israélien était que pour que l’Iran stoppe son programme
nucléaire, l’Iran doit percevoir la menace pour sa propre existence, ce qui n’est
pas possible sauf si l’Iran sent que l’occident a la volonté d’aller aussi loin
qu’attaquer l’Iran militairement pour empêcher sa nucléarisation. La raison
affichée par Barack Obama au cours de son discours à la dernière conférence de
l’AIPAC [le lobby sioniste], que la politique de son gouvernement à l’égard de
l’Iran n’était pas une politique de confinement [containment] ou de prévention mais
visait plutôt à stopper le programme nucléaire iranien, cherchait précisément à
adresser à l’Iran le message que pour l’Amérique, le risque inhérent à une
confrontation militaire était moindre que celui d’un Iran nucléarisé. En somme,
Israël voulait que l’Amérique annonce explicitement que toutes les options,
militaire notamment, étaient sur la table et de rendre très clair pour l’Iran
le critère du recours à ces options.
Deuxièmement, les Israéliens pensent que le
monde n’accepterait pas un allègement des sanctions contre l’Iran sauf si ce
pays sentait que la résistance à ces sanctions pourrait déboucher sur le
déclenchement d’une nouvelle guerre dans la région. La menace d’agression est
par essence un moyen de forcer des pays comme les membres de l’Union Européenne
à renforcer les sanctions, et de ce fait, l’analyse tout à fait correcte de
certains spécialistes Occidentaux de stratégie est que l’option la plus extrême
dont disposent l’Amérique et Israël est celle des sanctions. Leur évaluation
est qu’une attaque n’est fondamentalement pas une des options possibles et n’est
purement et simplement qu’un instrument qui sert à rendre plus efficace l’option
des sanctions, un instrument dont ils imaginent qu’il renforce les effets des
sanctions et force également divers pays à prendre plus au sérieux l’application
des sanctions.
Fort bien, alors qu’est-il advenu de ce grand
projet de guerre psychologique et les occidentaux ont-ils été capable de tirer
quelque chose de cette machinerie qu’ils ont construite pour les discussions d’Istanbul ?
Le destin de ce projet de création d’une menace crédible regorge vraiment de leçons. Au début,
les Américains avaient accepté l’argument selon lequel si l’Iran percevait la
présence d’une menace militaire crédible – de la part des Etats Unis, pas d’Israël
– il aurait une raison pour céder. Les dirigeants Américains ont donc commencé
à menacer l’Iran en affirmant que leur potentiel militaire était suffisant pour
traiter les installations nucléaires iraniennes, que leurs plans d’attaque
étaient pratiquement ficelés et qu’aucune option n’avait été exclue. Cependant,
de manière étonnante, les effets de cette rhétorique n’ont pas du tout été ceux
qu’envisageait l’Amérique ni ceux qu’Israël avait prévus.
En tout premier lieu, l’Iran a rapidement
réagi et a conduit des opérations militaires spéciales qui ont démontré que non
seulement le pays pouvait se défendre devant toute attaque mais que, si nécessaire,
il pouvait réaliser des opérations préventives avant le passage à l’action de l’ennemi
et dans une phase au cours de laquelle des menaces sont encore proférées. Les
Américains ont ainsi pu voir que leurs activités dont l’intention était de
maintenir la tension avec l’Iran à un niveau contrôlé pouvaient leur échapper
des mains et qu’à tout moment, existait la possibilité qu’un Iran sûr de lui puisse entraîner les
Etats Unis dans un conflit meurtrier, quoique non souhaité. La raison pour
laquelle Barack Obama, dans une lettre adressée à l’Iran l’hiver dernier, a
annoncé ouvertement que l’option militaire n’était, en ce qui concerne son
pays, pas sur la table, était que les Américains avaient constaté que l’Iran n’avait
pas peur mais se préparait au contraire à la guerre.
Ensuite, les menaces répétées contre l’Iran
ont poussé fortement les prix du pétrole à la hausse (et par conséquent les
revenus de l’Iran), aggravant la stagnation d’une économie mondiale à
demi-morte et, avec l’augmentation sans précédent des prix de l’essence, ont
été la cause de graves problèmes politiques intérieurs en Amérique et en
Europe. En fait, les Américains ont senti que cette rhétorique ridicule produit
l’effet opposé, elle n’a pas vraiment nui à l’Iran mais pourrait au contraire à
tout moment provoquer leur propre chute et c’est pour cette raison que Barack
Obama a visiblement déclaré en mars dernier que quiconque parle d’attaquer l’Iran
est un imbécile dépourvu de sens qui ment au peuple américain sur le coût
potentiel d’une telle action.
Le résultat délectable est le suivant: alors
que le projet de création d’une « menace militaire crédible » avait
été conçu pour paralyser l’Iran de peur, il a de manière inattendue et en un
bref laps de temps, révélé le secret que le principal opposant à cette option
est le gouvernement des Etats Unis lui-même, c’est-à-dire ce même gouvernement
qui était supposé rendre les menaces crédibles en faisant son show ! Non
seulement la menace militaire était dénué de crédit, mais elle a été retirée de
la table non par les Iraniens mais par les Américains avec une clarté sans
précédent, et la délégation américaine est venue à Istanbul sachant que les
menaces d’attaque contre l’Iran étaient perçues par ce pays comme rien d’autre
qu’une mauvaise plaisanterie et c’est pour cette raison que ni les Américains,
ni les autres membres du P5+1n’ont à aucun moment formulé ce qui aurait pu
ressembler à de telles menaces [pendant les négociations].
Je n’ai discuté pour l’instant que de deux
des facteurs qui étaient censés intervenir à Istanbul sans que ce fut le cas. Il
y a au moins trois autres facteurs qui peuvent être discutés mais nous n’aurons
pas l’occasion de le faire à ce stade. Quand ces trois facteurs sont débattus
correctement et que les arguments pour comprendre pourquoi ces trois facteurs
que les Américains voulaient aborder ne l’ont pas étés, auront été examinés, on
pourra alors comprendre clairement pourquoi les P5+1 ont participé aux
discussions d’Istanbul 2 en position de faiblesse.
Libellés : Barack Obama, entité sioniste, Etats Unis, Iran, Kayhan, Mehdi Mohammadi, P5+1, Union Européenne
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