Retour de bâton de la crise syrienne en Turquie?
Je ne l’ai
peut-être pas précisé, mais je ne suis pas forcément d’accord avec tout ce qui
est dit dans les articles que je vous propose. Leur valeur porte le plus
souvent pour moi sur un point particulier mais j’aime proposer des traductions
intégrales autant que faire se peut pour enrichir la réflexion.
Par
exemple, l’article du New York Times traduit ci-dessous semble confondre
Alaouites et Alevis, deux sectes qui tout en étant apparentées ne se confondent
pas.
Cet
article vaut surtout en ce qu’il signale une montée de tension confessionnelle
en Turquie. Si les tensions préexistaient à la crise syrienne, cette dernière n’a
fait que les aiguiser au point que certains en viennent à craindre de graves conséquences
sur les relations entre citoyens Turcs de diverses appartenances.
J’avais
déjà
évoqué les appréhensions des Alevis en les considérant comme un signe de
plus de l’imprudence du gouvernement turc sur le dossier syrien avec des
conséquences qui pourraient être un de ces fameux retours de bâton dont parle Pepe
Escobar
Il en
va des Alevis/Alaouites exactement comme des Kurdes auxquels Ankara reconnaît
une quasi indépendance en Irak, tout en refusant l’autonomie des Kurdes de
Syrie et en continuant sa chasse aux militants Kurdes en Turquie et au-delà.
Tiens,
les Kurdes, peut-être une des raisons de l’alignement d’Ankara sur Washington ;
on apprend en effet que le Congrès des Etats Unis vient de commencer l’examen d’une
résolution anti-PKK (PKK = Parti des Travailleurs du Kurdistan). Cette
résolution précise que le PKK est un ennemi de la Turquie et des Etats Unis. Un
texte semblable a été présenté au Sénat, nous dit-on, sous l’impulsion du
sénateur (indépendant) Joe Lieberman. Ce Lieberman n’est peut-être pas apparenté
à son Avigdor Lieberman, le ministre des affaires étrangères de Tel Aviv, mais
ils sont aussi ultrasionistes l’un que l’autre.
par Jeffrey Gettleman, New York Times (USA) 4
août 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri
ANTAKYA, Turquie - A 1h du matin, dimanche
dernier, dans le bourg agricole de Surgu, à environ six heures d’ici, une foule s’était
formée devant la porte de la famille Evli.
Le malaise couvait depuis plusieurs jours,
depuis que la famille Evli avait chassé
un tambour qui venait réveiller les gens un peu avant l’aube d’une nouvelle
journée de Ramadan. Les Evlis sont des Alaouites, une secte minoritaire de l’islam
historiquement persécutée, qui est aussi la secte des dirigeants Syriens
affrontés à une insurrection. De nombreux Alaouites ne suivent pas des
traditions musulmanes comme jeûner pendant le mois de Ramadan.
La foule a commencé à lancer des insultes.
Puis des pierres.
«Mort aux
Alaouites !» criaient-ils. «Nous allons tous vous bruler !»
Puis quelqu’un a tiré avec une arme à feu.
«Ils étaient là pour nous tuer,» affirme
Servet Evli qui s’était caché dans da chambre avec sa femme enceinte et sa
fille terrifiée, toutes deux si effrayées qu’elle avaient uriné dans leurs
vêtements.
Avec la guerre civile en Syrie qui dégénère
en affrontement sectaire sanglant entre les troupes du gouvernement à dominante
alaouite et la majorité musulmane sunnite, les tensions s’accroissent de l’autre
côté de la frontière entre la minorité alaouite de Turquie et la majorité
sunnite de ce pays.
De nombreux Alaouites Turcs, une population estimée
entre 15 et 20 millions qui forme une des plus importantes minorités du pays,
semblent être résolument derrière l’homme fort menacé de Syrie, Bachar
al-Assad, tandis que le gouvernement turc et de nombreux Sunnites soutiennent
les rebelles.
Les Alouites craignent que la violence
sectaire diffuse à travers la frontière. Déjà, les camps de réfugiés bondés et
étouffants installés le long de la frontière deviennent rapidement des marmites
où bouillonnent les sentiments anti-alaouites.
«S’il
en vient un par ici, nous le tuerons,» affirme Mehmed Aziz, 28 ans, un réfugié
Syrien dans un camp de Ceylanpinar, en passant un doigt en travers de sa gorge.
Lui et ses amis sont sunnites et tous ont
manifesté bruyamment de joie à la pensée d’exercer vengeance contre les
Alaouites.
De nombreux Alaouites, particulièrement en
Turquie orientale où les Alaouites tendent à être arabophones et sont
étroitement liés aux Alaouites de Syrie ; soupçonnent d’énormes enjeux
géopolitiques, et les spécialistes des relations internationales disent qu’ils
n’ont peut-être pas tort. Le gouvernement turc est dirigé par un parti
islamiste qui essaye lentement mais clairement de mettre plus de religion, l’Islam
sunnite en particulier, dans la sphère publique, tournant le dos à des dizaines
d’années d’un système politique délibérément laïque. Les Alaouites d’ici
trouvent profondément troublant, et assez hypocrite, de voir la Turquie faire
équipe avec l’Arabie Saoudite, un des pays les plus répressifs au monde, et le
Qatar, une monarchie religieuse, deux pays sunnites, pour apporter la
démocratie en Syrie.
Les Alaouites relèvent le nombre croissant de
djihadistes étrangers qui affluent en Turquie, en chemin pour la guerre sainte
sur les champs de bataille syriens. Beaucoup de djihadistes ont l’idée bien
arrêtée de transformer la Syrie, qui sous la direction de la famille Assad a
été un des pays les plus laïcisés du Moyen Orient, en Etat purement islamiste.
«Est-ce que vous croyez vraiment que ces gars
vont construire une démocratie ? » demande Refik Eryilmaz, un député
Alaouire au parlement turc. «Les Américains font une énorme erreur. Ils aident
la Turquie à combattre Assad, mais ils sont en train de créer d’autres
Talibans.»
Les officiels Américains ont récemment révélé
qu’un petit groupe d’agents de la CIA travaillait le long de la frontière
syro-turque avec leurs homologues Turcs, pour sélectionner les rebelles qui
recevront des armes. Les officiels Américains ont reconnu des inquiétudes sur l’attraction
que pourrait exercer la Syrie pour des djihadistes, mais ils pensent que les
combattants étrangers ne représentent encore qu’une toute petite partie de la
résistance syrienne.
Ali Carkoglu, professeur de relations
internationales à l’université Koc d’Istanbul, explique que le gouvernement
turc recourt de plus en plus à un langage sectaire et essaye de jouer le rôle
du « grand frère sunnite» dans la région. Comme en Syrie, la population
turque est majoritairement sunnite.
Les Alaouites de Turquie craignent d e
devenir des cibles faciles. Historiquement, ils ont été vus avec suspicion dans
tout e Moyen Orient par les Musulmans orthodoxes et souvent rejetés comme
infidèles. La secte alaouite est née au 9ème siècle et mélange ensemble
des croyances religieuses, dont la réincarnation, issues de religions
différentes.
Beaucoup d’Alaouites ne vont même pas à la
mosquée ; ils tendent à faire leurs dévotions à la maison ou dans un
temple alaouite qui s’es vu refuser le même soutien financier que celui qui est
attribué aux mosquées sunnites. Beaucoup d e femmes Alaouites ne se voilent pas
le visage et ne se couvrent même pas les
cheveux. Les villes où ils dominent dans l’est de la Turquie, où les jeunes
femmes portent des débardeurs et des jeans serrés, semblent totalement
différentes des villes religieuses sunnites à seulement quelques heures, où on
peut avoir du mal à voir seulement une femme en public.
«Nous
sommes plus modérés,» explique Turhan Sat, un Alaouite Turc qui travaille dans
une station service à Bridgeport dans le Connecticut et qui était en vacances
en Turquie. Il sirtait unthé l’autre jour sue la place publique ombragée de
Samandag, une ville majoritairement alaouite non loin de la frontière avec la
Syrie.
«Nous
sommes tous avec Assad,» dit-il.
Pas bien loin, dans la ville majoritairement
alaouite de Harbiye, il y a un nouvel article qui se vend tellement bien qu’il
ne semble pas pouvoir rester sur les étagères des commerces : des
tapisseries bon marché avec le portrait de M. Assad.
«Tout
le monde en veut,» déclare Selahattin Eroglu, un vendeur qui vient tout juste d’écouler
son dernier article. «Les gens d’ici aiment Assad.»
Ce sentiment est peut-être en partie de l’autoprotection.
Les rebelles Syriens cachent à peine une violente antipathie sectaire. Khaldoun
al-Rajab, un officier de l’Armée Syrienne Libre [rebelle], dit avoir vu deux
Alaouites en voiture tourner dans la mauvaise direction à Homs et se retrouver
dans un quartier sunnite. «Bien sûr, ils ont été arrêtés et tués par les
rebelles,» dit-il.
Peu de gens en Turquie imaginent une telle
folie se déclencher de si tôt dans leur pays, où le contrôle [policier] est
strict et qui a échappé pour l’essentiel à la violence sectaire.
Mais la foule menaçante devant la maison des
Evli à Surgu a rappelé à beaucoup d’Alaouites la mort de plus de 30 Alaouites
qui avaient été brûlés vifs en 1993 par un groupe d’islamistes dans la ville
turque de Sivas.
C’est seulement après que des agents de
police aient rassuré la foule en lui disant que la famille Evli allait
déménager, ce que les Evlis ignoraient, que les gens se sont dispersés.
Quoique les Evlis soient aussi Kurdes, un
autre groupe minoritaire en Turquie, ce qui a peut-être contribué aux
sentiments de haine contre eux, Songul Canpolat, directrice d’une fondation
alaouite en Turquie affirme que «L’idée que les Turcs Alaouites devraient être
éliminés gagne du terrain.»
Les officiels gouvernementaux Turcs rejettent
tout partipris contre les Alaouites, expliquant qu’ils ont fait un surcroît d’efforts
pour être « attentifs et sensibles
aux craintes des Alaouites.»
«Bien sûr, nous ne prétendons pas que tous
les problèmes sont résolus, » déclare Egemen Bagis, ministre des relations
avec l’Union Européenne.
Il y a quelques mois, M. Eryilmaz, le député
qui appartient à un parti d’opposition, était allé voir M. Assad à Damas. Il
avait dit que M. Assad était en fait assez détendu et que tout le conflit
portait en réalité sur la religion.
«Ce
qui se passe en Syrie est le volet syrien d’un projet international,» avait-il
dit, avec le gouvernement turc qui s’est aligné sur l’Arabie Saoudite et le
Qatar pour rendre cette région du monde plus «radicale» religieusement.
Il était assis dans un café d’Antakya, une
ville frontière avec une importante population alaouite, et il piochait dans un
plateau de baklavas pendant ces heures ensoleillées de l’après-midi, quand les
musulmans qui observent le Ramadan font habituellement le jeûne.
«Voyez
mon peuple,» dit-il en souriant, ouvrant grand les bras comme pour envelopper
des familles qui mangent des glaces et un jeune couple s’étreignant sur un banc
public. «Mon peuple est libre.»
Sebnem Arsu contributed reporting from
Antakya, and Hwaida Saad from Beirut, Lebanon.
Libellés : Alaouites, Alevis, Antakya, Bachar al-Assad, Kurdes, PKK, sunnites, Syrie, Turquie
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