L'émir du Qatar à Gaza: les dessous d'un flop
La presse nous parle abondamment de la visite de l’émir du Qatar, cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, dans la bande de Gaza.
On peut lire que
Yigal palmor, porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, s'est dit "atterré" que le Qatar ait pris le parti d'une formation considérée par les Etats-Unis et l'Union européenne comme une organisation terroriste.
Il est cependant évident que cet un évènement qu’on ne saurait minimiser n’a pu se produire que grâce à l’assentiment des autorités sionistes. Ces dernières ont d’ailleurs tenu à montrer, avant et après cette visite, qu’elles restaient maîtresses du jeu en bombardant ce territoire comme elles ont coutume de le faire.
On ne peut pas préjuger des conséquences diplomatiques de cette visite dont l’objectif est avant tout de renforcer la position du Hamas, moins face au régime sioniste que face à l’Autorité Palestinienne et s’inscrit dans la recomposition du paysage politique arabe recherchée par les Etats Unis et les monarchies (démocratiques) du Golfe.
Le fait que le Hamas soit classé par les Etats Unis parmi les organisations terroristes ne constitue en rien une entrave à cette recomposition palestinienne. Les Etats Unis n’ont en effet pas hésité à s’allier avec ce qu’on appelle des djihadistes en Libye et même en Syrie, et ils se sont longtemps servis des Moudjahidine Khalq iraniens, pourtant inscrits sur la liste des organisations terroristes il y a peu de temps encore.
Le Qatar entend sans doute remercier le Hamas pour s’être démarqué du régime syrien qui offrait encore tout récemment à ce mouvement les moyens de son déploiement vers les Palestiniens de l’extérieur et vers des pays amis de la cause palestinienne.
De fait, le soutien à la cause palestinienne est un des paramètres de la légitimité de tout gouvernement arabe et c’est cet attribut qu’entend s’accaparer l’émir du Qatar après en avoir supposément privé le régime de Damas.
Comme il se doit,
Le Comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) a dénoncé la visite, appelant les pays arabes à "ne pas poursuivre la politique d'établissement d'une entité séparatiste dans la bande de Gaza, qui sert fondamentalement les desseins israéliens".
De fait, ce qu’on a du mal à percevoir, c’est ce que retirera le projet national palestinien de cette visite et de ces annonces. Elle enfonce un coin supplémentaire entre l’OLP et le Hamas, c’est un des buts recherchés, alors qu’il faudrait au contraire rapprocher ces deux organisations et éloigner l’OLP de l’entité sioniste.
C’est tout le contraire qui va se passer et le risque est bien présent de confirmer le régime sioniste dans la possibilité de constituer des Bantoustans palestiniens, l’un sous la dépendance du Qatar et de l’Egypte, l’autre directement supervisé par le régime sioniste et la Jordanie à un moindre degré. Jusque à l’expulsion complète et progressive des Palestiniens de Cisjordanie qui céderont toute la place aux colons.
L’émir a, nous dit-on, inauguré un certain nombre de projets et annoncé des centaines de millions de dollars d’investissements dans la bande de Gaza, pour construire des routes et des logements notamment.
Faute de règlement politique, ces réalisations seront détruites lors de la prochaine offensive sioniste contre Gaza. Et l’émir est peut-être venu avec de l’argent mais sans proposition politique correspondant aux aspirations nationales du peuple palestinien. Exactement comme lors de sa première visite à Gaza en 1999.
Et la solution des bantoustans, même avec un soupçon de prospérité, ne répondra pas aux aspirations du peuple palestinien qui la rejettera nécessairement.
Côté Hamas, l’heure est à l’enthousiasme apparemment puisque :
Acclamé par des milliers de Palestiniens, alors que sa limousine cahotait sur la chaussée défoncée qu'il a promis de reconstruire, l'émir a ensuite été accueilli avec les honneurs par Ismaïl Haniyeh, Premier ministre de l'administration mise sur pied par le mouvement islamiste.
Et peut-on lire aussi :
"Aujourd'hui, vous annoncez officiellement la levée du blocus politique et économique imposé à la bande de Gaza", a dit à cheikh Hamad le chef du gouvernement du Hamas Ismaïl Haniyeh, à l'occasion de la pose à Khan Younès (sud) de la première pierre d'un projet immobilier destiné à des familles défavorisées, qui portera le nom de l'émir."Aujourd'hui, nous abattons le mur du blocus (israélien) grâce à cette visite historique et bénie", a-t-il ajouté.
L’émir n’a pourtant rien annoncé de tel. Il a simplement dit qu’il allait un peu dorer la cage dans laquelle sont enfermés les habitants de Gaza, dont la plupart sont des réfugiés ou descendants de réfugies d’autres régions de la Palestine.
Si la direction du Hamas et certains Palestiniens semblent se bercer d’illusions sur l’impact de la visite de l’émir, l’opinion palestinienne fait preuve semble-t-il de plus de maturité. Et c’est sans doute pour cette raison que l’engouement populaire pour cette visite est plus apparent que réel.
Vous voulez une preuve ?
par Ibrahim Barzak | Associated Press – 23octobre 2012 traduit de l’anglais par DjazaïriVille de Gaza, Bande de Gaza – L’émir de Qatar a annulé un discours qu’il devait prononcer devant les Palestiniens dans le plus grand stade de football de la ville de Gaza.Les responsables du Hamas présents dans le stade ont annoncé l’annulation et ordonné aux milliers de personnes présentes ce mardi de rentrer chez elles.Ce discours était le point d’orgue de la visite historique de l’émir dans la bande de Gaza.Le Hamas a invoqué l’emploi du temps chargé de l’émir quand il a annoncé le changement. Mais le stade n’était plein qu’à environ un cinquième de sa capacité au moment de l’annonce de l’annulation.A la place, l’émir a prononcé un discours devant un auditoire beaucoup plus réduit à l’université de Gaza.
Comme on le voit, pas plus l’OLP que le Hamas ou l’émir du Qatar ne doivent se faire d’illusions quant à leur popularité réelle auprès de la population palestinienne. Tous incarnent, à des degrés divers, l’incapacité des élites politiques arabes à être à la hauteur des enjeux.
L’OLP va peut-être commencer à en prendre conscience suite à son échec aux élections municipales en Cisjordanie. Il faudra sans doute un peu plus de temps à un Hamas grisé par son succès diplomatique pour comprendre qu’une légitimité acquise dans les urnes il y a quand même quelques années, ne signifie pas un blanc seing ou une adhésion unanime à des démarches qui contribuent à diviser les Palestiniens et à mettre en échec leur projet national.
Le déblocage de la situation s’amorcera peut-être une fois que la crise syrienne s’apaisera au profit, je l’espère, d’une solution conforme à l’intérêt national syrien et arabe. Après tout, c’est bel et bien avec les basses manœuvres du Qatar, de l’Arabie saoudite, de la Turquie et des Etats Unis que s’est sédimentée cette évolution inattendue et funeste de la scène politique palestinienne.
Le Hamas qui incarnait jusque là l’esprit de résistance a pris le chemin du renoncement pour une poignée de dollars. Il lui reste quand même encore un petit bout de chemin à faire pour rejoindre l’OLP dans l’abjection.
Libellés : Bantoustan, Cisjordanie, entité sioniste, Gaza, Hamad ben Khalifa al-Thani, Hamas, Ismaïl Haniyeh, Organisation de Libération de la Palestine, Qatar, Syrie
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