128 bus de pèlerins Turcs refoulés par les autorités irakiennes
En prenant position comme elle l’a fait sur le dossier syrien, c’est-à-dire en participant activement non seulement à la structuration politique de l’opposition au régime de Damas mais aussi à l’équipement et à la formation militaire des bandes armées qui sèment le chaos en Syrie, la Turquie a foncé tête baissée dans le piège que lui a tendu l’Occident.
Elle n’en sera récompensée ni par une accession à l’Union Européenne, ni même par un abandon définitif des projets de législation sur le génocide arménien.
En attendant, la Turquie doit assumer en grande partie le fardeau que constitue l’aide aux réfugiés de Syrie, pour la bonne raison qu’elle refuse de laisser les institutions internationales (ONU, Croix Rouge entre autres) administrer les camps de réfugiés (pour l’autre bonne raison que ce ne sont pas de simples camps de réfugiés, mais aussi des camps d’entraînement militaire) et son commerce avec la Syrie s’est réduit à presque rien, au grand dam des entreprises des régions limitrophes de la Syrie. L’impossibilité de faire transiter des marchandises destinées aux marchés jordanien et au delà saoudien ou koweïtien par la Syrie est aussi un problème sérieux pour l’économie turque.
A ces aspects s’ajoutent d’autres problèmes plus politiques qui sont autant de menaces pour l’unité de la Turquie.
Au niveau régional, les relations avec l’Arménie, déjà pas très bonnes sont devenues carrément exécrables, tandis que celles avec l’Iran sont passées de bonnes ou même chaleureuses à un niveau oscillant entre tiédeur et froideur.
Et puis il y a l’Irak, ce pays révélateur des contradictions de la Turquie. Ankara a prétendu entretenir de bonnes relations avec Bagdad tout en court-circuitant l’autorité centrale du pays afin de passer des accords dans le domaine pétrolier directement avec la province autonome du Kurdistan irakien.
Autant de choses qu’Ankara refuserait, même en rêve, pour les Kurdes de Turquie que l’armée et la police turques combattent sans relâche non seulement sur le sol turc mais aussi en territoire irakien.
Et le gouvernement turc le fait en fonction d’un «mandat » qui lui est attribué par le parlement… turc !
Ce mandat vient d’être renouvelé par les législateurs d’Ankara alors même que le gouvernement irakien a fait savoir qu’il s’opposait à ce que l’armée turque intervienne sur son territoire.
Mais il n’y a pas de problème puisque :
le chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu s'est entretenu lundi à Ankara avec des dirigeants Kurdes d'Irak pour obtenir leur soutien dans la lutte menée par les forces turques contre le PKK.
Je dirai seulement une chose aux dirigeants Turcs : à force d’actionner et de soutenir des forces centrifuges dans les pays voisins, vous récolterez ce que vous aurez semé, c’est-à-dire la mise en branle de ces mêmes forces dans votre pays.
En attendant, le régime irakien est furieux de tout ce qui se passe, aussi bien dans le Kurdistan qu’en Syrie où le dénouement de la crise pourrait s’avérer funeste en cas d’accession au pourvoir des poulains de la monarchie saoudienne. La recrudescence des attentats meurtriers attribués à des organisations pro saoudiennes n’est d’ailleurs qu’un avant-goût de ce qui attendrait alors l’Irak.
Les autorités irakiennes, sans doute lasses de ne pas être entendues par celles d’Ankara, essayent cependant de leur montrer que la patience a des limites. C’est ainsi qu’on apprend que 128 autocars transportant des pèlerins pour La Mecque viennent d’être refoulés alors qu’ils s’apprêtaient à entrer en Arabie Saoudite par le poste frontière d’Arar au sud-est de l’Irak.
les bus n’ont pas été autorisés à passer à Arar parce que les visas des passagers avaient été délivrés par les autorités régionales kurdes et non par le gouvernement central, ont déclaré des officiels.
«Ni Ankara, ni l’ambassade turque à Bagdad n’ont contacté les autorités irakiennes à propos de l’entrée d’un aussi grand nombre» de personnes et «nous ne savons pas vraiment si ce sont des pèlerins,» partis pour La Mecque, a déclaré Mussawi [conseiller du premier ministre Irakien].
Mussawi fait apparemment une allusion assez transparente aux pèlerins Iraniens capturés en Syrie par l’opposition armée et présentés par cette dernière comme étant en réalité des Gardiens de la Révolution.
Pour comprendre ce qui se passe, et ce que ne veut pas comprendre le gouvernement turc, il faut juste savoir admettre que les Kurdes ont un projet national et qu’ils divergent avant tout sur les modalités de sa concrétisation et sur qui doit en assumer le leadership. En nouant des relations étroites avec la province kurde autonome d’Irak, les Turcs ne font que renforcer une faction porteuse de ce projet national, et cette faction se retournera contre eux le jour où elle sera assez sûre de sa force.
Qu’on le veuille ou pas, le projet national kurde, sous sa forme actuelle, est antithétique avec le maintien de la carte de la région telle qu’elle a été fixée au lendemain de le 1ère guerre mondiale.
D’un autre côté, les Turcs devraient aussi savoir que le pouvoir de Bagdad dont la nature centrale reste bien théorique aspire de toutes ses forces à redevenir un véritable pouvoir central, exactement comme au temps de Saddam Hussein.
Ce pouvoir est chiite, nous dit-on. Et constitué de personnes hostiles à l’ancien régime irakien. La belle affaire ! C’est un pouvoir d’abord irakien au sens où il est de cette terre et de ce pays et qu’il ne peut que reprendre un projet sans lequel il ne sera plus question d’Irak.
Espérons quand même que le problème du passage des pèlerins pourra être résolu car ils ne sont sans doute que les victimes des agissements de leur gouvernement.
Libellés : Ahmet Davutoğlu, Ankara, Arménie, génocide arménien, Iran, Kurdes, Kurdistan, PKK, Syrie, Turquie
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