Coûts apparents et coûts cachés de la politique syrienne de la Turquie
Si des pays comme la France ou la Grande Bretagne peuvent se permettre d’entretenir
le brasier syrien sans subir d’autres conséquences que l’arrivée sur leur
territoire de quelques réfugiés, le plus souvent triés sur le volet, il en va autrement pour la Turquie.
En effet, la Turquie a une longue frontière avec la Syrie qui était il y
a encore peu de temps un partenaire commercial important, non seulement par les
achats de produits turcs effectués par les enterprises syriennes, mais aussi
comme voie de transit pour les marchandises destinées aux marchés jordanien et
saoudien.
A celà s’ajoutent des caratctéristiques de l’Etat turc qui le rendent vulnérable
aux mêmes facteurs de désagrégation que ceux qui sont à l’oeuvre en Syrie. D’une
certain manière, ces facteurs sont encore plus puissant dans une Turquie moins
unifiée linguistiquement que la Syrie mais qui est aussi traversée par des
lignes de fracture sectaires potentielles.
A côté de ces facteurs de risque, la question du fardeau des
réfugiés,sans être négligeable, revêt un aspect presque accessoire.
Je vous l’ai dit à plusieurs reprises sur ce blog, l’inquiétude monte chez
une bonne partie des élites turques tandis que la masse de la population est
indifférenre ou hostile à la politique syrienne conduit par son gouvernement.
L'article signé Yusuf Kanli que je vous propose expose cette inquiétude de manière on ne peut plus claire et appelle à un changement conforme aux intérêts fondamentaux de son pays.
Incidemment, il est particulièrement piquant de voir le gouvernement
turc, qui a foncé tête la première dans le piège syrien tendu par la Grande
Bretagne et la France protester contre l’introduction du genocide arménien dans
les
manuels scolaires français.
Par Yusuf
Kanli, Hürriyet (Turquie) 5 septembre 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri
La
guerre en Syrie va-t-elle se terminer avant le début de l’hiver? Dès le début,
les décideurs politiques Turcs avaient annoncé que les jours du régime
baathiste étaient comptés et que sa chute était imminente. Sauf que ces mêmes
décideurs politique ont fait des prévisions presque identiques tout au long des
18 mois de tragédie en Syrie.
Il
est évident que ces pronostics irréalistes et à courte vue manquent de logique
et de rationalité, mais sont fondés sur les immenses espoirs des collaborateurs
sunnites locaux de la phase «Printemps Arabe» de la conspiration pour le Grand
Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Sur les débris des fables sur l’évolution
démocratique dans la région, des dictatures sont en voie d’être remplacées par
des régimes totalitaires de substitution, régis cette fois ci par la mentalité
théocratique des Frères Musulmans.
Il
reste néanmoins que les Frères musulmans, qui emmènent toute la région vers une
«gouvernance démocratique avancée» n’ont fait aucune avancée au Bahreïn. La
communauté internationale a fait la sourde oreille et est restée aveugle aux
développements au Bahreïn, mais permettez-moi de vous le rappeler : le
soulèvement a été maté avec une intervention militaire saoudienne.
Pourquoi ? Parce que, au Bahreïn, ce n’étaient pas des sunnites, mais
plutôt des chiites qui remettaient en cause la monarchie.
Le
coût de ce “printemps” pour la
Turquie a atteint de telles proportions cependant que, ne
pouvant plus se contenter de la formule «à part ça tout va bien,» le ministre des affaires étrangères Ahmet
Davutoğlu a commence à avouer qu’il avait eu tort d’espérer un soutien généreux
à l’aide “humanitaire” et “généreuse” apportée par la Turquie aux rebelles
Syriens. C’est ce dont ils s’est plaint à l’ONU la semaine dernière. La
Turquie a déjà dépensé 300 millions de dollars pour héberger quelque 80 000
réfugiés Syriens. La facture syrienne de la Turquie, ainsi que le nombre de
réfugiés, vont malheureusement doubler ou meme tripler dans les semaines à
venir. D’un aute côté, la Turquie n’est plus aussi enthousiaste qu’elle l’était
quand Davutoğlu avait emporté ans ses bagages des millions de dollars pour
acheter la loyauté des rebelles Libyens et qui ont été perdus dans la compétition libyenne remportée par la France et la Grande Bretagne...
Quel a été le
coût réel du “printemps Arabe” pour les finances turques, mis à part les
milliards perdus dans le commerce bilatéral, ainsi que dans le transport de
marchandises vers des pays tiers via les territories en conflit? Dépenser 300
millions de dollars pour les réfugiés ou d’autres forms d’assistance “humanitaire”
aux rebelles Syriens ne représente certes pas grand chose pour une économie
comme celle de la Turquie. Par ailleurs, par de nombreux canaux très discrets,
les amis Qataris, Saoudiens et Américains de la Turquie ont probablement aidé
Ankara.
Le coût véritable
ne réside cependant pas dans l’argent dépensé mais dans les retombées sue l’économie,
la stabilité, la sécurité et l’intégrité du territoire national de la Turquie.
Les Turcs en ont assez d’entendre jour après jour la liste de leurs fils tombés
sous les coups du terrorisme separatist. L’inquiétude s’accroît sur les consequences
le jour d’après [la crise syrienne], indépendamment du cours que suivront les
évènements en Syrie. La Syrie et l’Irak parviendront-ils à preserver leur
intégrité teritoriale? Que va-t-il arrive à l’Iran? La Turquie réussira-t-elle
à preserver son intégrité au milieu de tant de volatilité régionale?
Dénigrer Davutoğlu
est devenu une mode. Mais Davutoğlu a-t-il
conçu et appliqué seul ces politiques ratées qui lui ont valu à juste raison le
titre de “pire ministre des affaires étrangères que la Turquie ait jamais eu”?
La Turquie devrait-elle le sacrifier pour continuer dans l’aventurisme? Cela
ferait-il une différence?
Le temps est
peut-être venu d’analyser les coûts de manière réaliste et de donner une
nouvelle orientation à la politique étrangère turque.
Libellés : Ahmet Davutoğlu, France, génocide arménien, Irak, Iran, ONU, Syrie, Turquie
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