Une première: Robert Fisk autorisé par le gouvernement syrien à rencontrer des prisonniers faits par l'armée
Message liminaire à Louise : j’espère qu’il
n’a pas déjà été traduit !
Le
journaliste Anglais Robert Fisk a eu la permission de rencontrer des détenus dans
une prison syrienne.
En soi,
c’est un évènement qui en dit long sur le souhait des autorités syriennes d’établir
des canaux de communication avec l’opinion occidentale. Et le fait que ce soit
Robert Fisk, un journaliste très connu qui n’a jamais caché son antipathie pour
le régime de Damas, qui ait obtenu ce privilège exceptionnel pour un
journaliste est très significatif.
Bien
sûr, Robert Fisk n’est pas dupe de ce que lui racontent les détenus qu’il a
rencontrés (quatre alors qu’on lui proposait d’en rencontrer encore d’autres) mais on
peut néanmoins retenir certaines choses.
Par exemple
que les détenus avec qui il a pu parler, s’ils ont sans doute fait l’objet de
mauvais traitements sur une durée plus ou moins longue (ou courte) ne semblent
pas avoir été torturés. Ce qui ne signifie bien sûr pas que d’autres
prisonniers n’ont pas fait et ne continuent pas à faire l’objet de sévices.
Et que les
prisonniers ont pu être entendus, sur requête du journaliste, hors la présence
du personnel pénitentiaire, l’hypothèse d’un dispositif d’écoute étant exclue
puisque les entretiens se sont déroulés dans le bureau du directeur de la
prison qui ne s’attendait pas à en être «chassé.»
Et
puis, j’ai été personnellement bien intéressé par le cas de ce Franco-Algérien
rencontré par Robert Fisk. Nous voyons là encore quelqu’un en situation
professionnelle précaire, mais avec femme et enfants, qui plaque tout pour
aller guerroyer sur le chemin de Dieu en Syrie.
Il est
vrai que ces grenouilles de bassin à ablutions ont souvent l’habitude de vivre
d’aides sociales ou carrément de se reposer sur les revenus de leurs épouses.
Pas en
Palestine le djihad? lui demande ingénument le journaliste.
Eh hon,
il paraît que c’est un peu compliqué de passer la frontière pour entrer en
Palestine occupée.
Il
reste que ce quadragénaire, arrivé en France si on comprend bien, à l’âge
adulte, a été soldat dans l’armée française.
Il a
donc tout à fait le profil des pseudo-djihadistes qui travaillent avec les
services secrets pour des motivations qui tiennent à un cocktail qui mêle des
convictions sans doute rudimentaires à un espoir de gros gain financier.
En
langage laïco-assimilationniste, on appelle ce genre de personnes des
mercenaires.
La
seule question qui se pose est l’identité de son employeur : les services
français ? ceux du Qatar ? une fondation wahhabite ?
Un journaliste occidental a obtenu pour la première
fois l’accès aux prisonniers détenus par l’armée d’Assad.
Par Robert Fisk, The Independent (UK) 2
septembre 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri
Ils sont entrés dans la pièce un par un, la
tête basse et les mains croisées sur le devant, comme s’ils avaient l’habitude
d’être menottés. Dans une des prisons militaires les plus redoutées de Syrie,
ils ont raconté l’histoire extraordinaire de l’aide qu’ils ont apporté à l’opposition
armée au régime de Bachar al-Assad. L’un était un Franc-Algérien d’une
quarantaine d’années, un homme de petite taille, dos voûté et longue barbe ; un autre
était Turc, avec ce qui avait l’air d’être un œil au beurre noir, qui a parlé
de de son entraînement dans un camp taliban à la frontière pakistano-afghane. Un
prisonnier Syrien a décrit la manière dont il a aidé deux kamikazes à commettre
un attentat à l’explosif meurtrier au centre de Damas, tandis qu’un mufti a
parlé de ses vaines tentatives pour unifier les factions en guerre contre le
régime syrien.
Compte tenu du caractère sans précédent de
notre accès à une prison syrienne de
haute sécurité, nos rencontres avec ces quatre hommes – leurs geôliers avaient
d’autres détenus à notre disposition pour une interview – ont été une
expérience glaçante qui donne à réfléchir. Deux d’entre eux ont fait clairement
allusion au traitement brutal qu’ils ont subi immédiatement après leur
arrestation. Il a fallu dix minutes pour persuader le gouverneur de la prison
militaire, un général entre deux âges aux cheveux grisonnants dans son treillis militaire - et son officier du renseignement en bras de
chemise de quitter la pièce pendant nos conversations. Nous avons refusé des
demandes ultérieures des autorités syriennes pour accéder aux enregistrements des
entretiens.
Chose incroyable, ils ont quitté leur bureau
de sorte à ce que nous puissions être seuls pour parler avec leurs captifs.
Deux de ces hommes ont parlé de leur
recrutement pas des prédicateurs islamistes, un autre de la façon dont les
chaînes satellitaires arabes l’ont convaincu de se rendre en Syrie pour faire
le djihad. Ce sont les récits que les autorités syriennes voulaient évidemment
que nous entendions, mais les prisonniers – qui ont dû dire la même chose lors
de leurs interrogatoires – étaient vraiment désireux de nous parler, ne
serait-ce que pour rencontrer des occidentaux et nous alerter de leur présence
après des mois de captivité. Le Franco-Algérien a englouti la boîte de poulet-frites
que nous lui avions donnée. Un des Syriens avait reconnu qu’il était maintenu
constamment en confinement solitaire.
Nous avons promis aux quatre détenus que nous
donnerions leurs noms et les précisions utiles à la Croix Rouge Internationale.
Mohamed Amin Ali al-Abdullah, 26 ans, était
en quatrième année de faculté de médecine dans la ville de Deir Ez-Zor, une
ville du nord de la Syrie. Fils d’une «simple» famille paysanne de Lattaquié,
il était assis dans le fauteuil du gouverneur de la prison vêtu d’une chemise à
rayures bleus et d’un pantalon propres – qui lui ont été donnés, dit-il, par
les autorités – et nous a dit avoir rencontré des «problèmes psychologiques»
pendant sa deuxième année d’études. Il a fondu en larmes à deux reprises
pendant notre conversation. Il a expliqué avoir suivi une prescription
médicale mais avoir aussi accepté l’aide d’un «cheikh» qui lui avait suggéré de
lire certains passages du Coran. « C’était une manière de pénétrer dans ma
personnalité, et de temps en temps, il me donnait des disques sur la cause
salafiste, surtout des discours de cheikhs saoudiens comme Ibn Baz et Ibn
Ottaimin. Par la suite, il m’avait donné des vidéos qui rejetaient toutes les
autres sectes de l’Islam et qui attaquaient les soufis et les chiites. Le «cheikh»
avait été incarcéré pendant un an mais il trjoignit plus tard Mohamed comme
colocataire à Damas. «Il me montrait alors des vidéos d’opérations de
djihadistes contre l’OTAN et les Américains en Afghanistan.»
Quand le soulèvement débuta en Syrie l’an
dernier, Mohamed explique que le «cheikh» et deux autres hommes lui avaient
conseillé de participer à des manifestations contre le régime. «Quand les prières
du vendredi étaient terminées, l’un d’entre nous se plaçait au milieu de la
foule pour crier des slogans au sujet de l’injustice et de la mauvaise
situation ; les quatre autres se mettaient dans les coins et criaient 'Allahu
Akbar' [Dieu es grand] pour encourager la foule à faire de même.»
Vers cette époque, explique Mohamed, il a été
présenté à un salafiste nommé "Al-Hajer" qui lui avait demandé son
aide pour un soutien logistique et médical à son mouvement – cacher des hommes
recherchés par les autorités et trouver des refuges sûrs.» Al-Hajer avait commencé »
à fréquenter le domicile de Mohamed, «et il m’avait proposé une forme [de
rituel] d’allégeance, vous serrez les mains de cet homme et vous lui dites que
vous le reconnaissez comme un chef auquel vous allez obéir, et que vous suivrez
le djihad dans jamais lui poser de question.» Al-hajer avait ramené des étrangers au
domicile de Mohamed.
«Ils m’ont mis dans leur cercle. J’avais laissé
ma raison ‘ailleurs’ à cette époque et puis j’ai compris que ce groupe faisait
partie d’al Qaïda. Le 10 avril de cette année, l’un d’entre eux m’a demandé d’aller
avec lui dans une voiture. Je suis allé dans un endroit où j’ai vu des
cylindres de 2,5 m de hauteur, avec des compartiments pour les remplir d’explosifs.
Ils étaient une dizaine là-dedans. Je ne sais
pas pourquoi ils ont fait appel à moi – peut-être pour m’amener à m’impliquer.
Il y avait un palestinien et un Jordanien qui étaient les auteurs de l’attentat
suicide et trois Irakiens. Nous étions partis en voiture devant les deux
kamikazes. Je ne savais pas où ils allaient se faire exploser, mais 15 minutes
après être rentré chez moi il y a eu une très forte explosion. J’ai compris la
catastrophe quand j’ai regardé la télévision et que j’ai vu que la bombe avait
explosé dans une rue bondée dans le quartier de Bazzaz ; il y avait des
maisons démolies par les bombes et toutes les victimes étaient des gens de la
classe moyenne et des pauvres. J’étais tellement désolé.
Par la suite, un des salafistes demandera à
Mohamed d’aller voir sa mère à l’hôpital – parce qu’il était docteur et que le
salafiste aurait été reconnu – mais les services secrets syriens l’attendaient.
«Je leur ai dit très franchement : ‘je suis content d’être arrêté – c’est
mieux que de participer à une telle organisation ou d’avoir un rôle dans d’autres
effusions de sang.’ Je ne sais pas commenet j’ai pu me retrouver avec ces gens.
Je me suis mis moi-même dans une ’benne à
ordures.’ Maintenant, je veux écrire un livre pour dire aux gens de qui
m’est arrivé pour qu’ils ne fassent pas comme moi. Mais on ne m’a pas donné de
stylo et de papier.»
Mohamed a vu son père, un instituteur, sa mère
et une de ses sœurs il y a eux mois. Nous lui avons demandé s’il avait été
maltraité. «Un seul jour, » a-t-il dit. «Ce n’était pas de la torture.»
Nous lui avons demandé pourquoi il y avait deux marques foncées sur un de ses
poignets. «J’ai glissé aux toilettes,» a-t-il dit.
Jamel Amer al-Khodoud [un nom qui ne sonne pas algérien, sans doute un pseudo, NdT], un Algérien dont la
femme et les enfants vivent à Marseill et qui a servi dans le 1er
régiment de transport de l’armée française, est un homme de 48 ans plus discret
et son histoire assez pathétique de la quête du djihad – encouragée par les
informations d’al Jazeera sur la souffrance des Musulmans en Syrie, dit-il –
qui laisse un homme quelque peu désillusionné. Né à Blida, il avait émigré en France
mais, quoique parlant le français couramment, il n’avait qu’une vie de petits
boulots et de chômage puis, «après une longue hésitation, j’ai décidé d’aller
en Turquie pour aider les réfugiés Syriens.»
Il était, dit-il, un «salafiste modéré, »
mais dans les camps en Turquie, il a rencontré un cheikh Libyen, de
nombreux Tunisiens et un imam Yémenite « qui m’ont donné des leçons sur le
djihad.» Il a franchi la frontière avec un fusil de chasse et, avec d’autres
hommes, il a attaqué des barrages de l’armée et dormi dans des maisons
abandonnées et dans une mosquée dans les montagnes au-dessus de Lattaquié.
Entraîné avec de l’armement français, il n’avait jamais tiré avec un Kalashnikov
– on lui avait permis de tirer trois cartouches sur une pierre pour d’entraîner,
dit-il – mais après quelques semaines de misère où il a découvert que le djihad
en Syrie n’était pas pour lui, il a résolu de retourner en Turquie pour rentrer
en France. «Ce que j’avais vu à lé télévision, je ne l’avais pas vu en Syrie. »
Capturé par des villageois soupçonneux, il a
été emmené dans une ville (probablement Alep) et puis transféré par hélicoptère
à Damas. Pourquoi n’a-t-il pas choisi la Palestine plutôt que la Syrie pour son
djihad, lui avons-nous demandé. «Un ami palestinien m’avait dit que son peuple
avait plus besoin d’argent que d’hommes,» a-t-il répondu. «En plus, c’est une frontière difficile à franchir.» Quand je lui ai demandé s’il avait
été maltraité en captivité, il a répondu : «Dieu merci, je vais bien.» A
la même question il a fait la même réponse.
Un imam Syrien – de la mosquée Khadija
al-Khobra à Damas – au visage sombre et émacié, nous a parlé de sa rencontre
cette année à damas avec quatre «groupes de militants» qui avaient des
objectifs religieux et nationalistes différents et de ses tentatives pour les unifier
avant de décougvrir que c’étaient des voleurs, des assassins, des violeurs
plutôt que des djihadistes. C’est du moins ce que dit cheikh Ahmed Ghalibo.
Emaillant la conversation avec les noms de ces hommes ; le cheikh a expliqué
qu’il avait été atterré par la façon dont ces groupes avaient liquidé ceux qui
étaient en désaccord avec eux, parfois sur la base de simples soupçons, «découpant
les cadavres, les décapitant et les jetant dans les égouts. Il a dit avoir été
témoin de sept meurtres de ce genre ; de fait, faire disparaître les corps
dans les égouts est quelque chose de courant à Damas.
Sachant qu’il était mufti de la mosquée
al-Khobra et apparemment au courant qu’il avait rencontré les quatre
dirigeants extrémistes, le police syrienne a arrêté Ahmed Ghalibo le 25 avril
de cette année. Il nous a dit avoir fait des aveux complets parce que «ces
militants ne sont pas une ‘Armée Libre’», et il a inisté pour dire qu’il a été
très bien traité par ceux qui l’ont interrogé, il a condamné l’émir du Qatar
pour avoir ourdi la révolution en Syrie et affirmé qu’il pensait qu’il serait
relâché «parce que je me suis repenti.»
Cuma Öztürk vient de la ville de Gaziantep au
sud-est de la Turquie, et il dit être entré en Syrie après s’être entraîné
plusieurs mois dans un camp taliban à la frontière pakistano-afghane. Il ne
sait parler ni pachto, ni arabe mais il a laissé derrière lui sa femme, Mayuda,
enceinte, et leur fille âgée de trois ans à
Gaziantep pour aller à Damas. Il ne parlait que vaguement de djihad mais
explique qu’on lui avait demandé de mettre en place une route de «contrebande »
entre la Turquie et la capitale syrienne qui aurait aussi permis de faire
passer des hommes à travers la frontière. Il a été arrêté alors qu’il se
trouvait à Alep pour les obsèques de sa belle-mère. «Je regrette tout ce qui m’est
arrivé, » dit-il avec tristesse ; il est bien traité «maintenant.» Il
nous a demandé de faire connaître sa présence en prison aux autorités turques.
Quand nos quatre heures trente d’entretien se
sont achevées, nous avons appelé le gouverneur de la prison à permettre aux
détenus d’avoir plus de contacts avec leurs familles, une requête que son
sourire fatigué nous a donné à comprendre comme n’étant pas de son ressort.
Nous avons aussi demandé un stylo et du papier pour Mohamed al-Abdullah et nous
avons parlé – sans succès cependant – de lé nécessité d’appliquer le droit
international aux détenus.
Les prisonniers ont serré la main du gouverneur de
la prison de manière assez amicale, même si peu de sentiments amènes semblaient
passer entre eux et l’homme des services secrets en bras de chemise. Chaque
prisonnier est retourné dans sa cellule dans la même posture que celle qu’il
avait à l’arrivée dans le bureau du gouverneur – tête basse, les yeux regardant
le sol.
Libellés : Armée Syrienne Libre, Bachar al-Assad, djihadistes, Gaziantep, Syrie, Turquie
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