Syrie: montée de l'exaspération en Turquie
Nous
avons d’une part les rodomontades d’Ahmet Davutoglu, le chef de la diplomatie
turque, ou les propos grotesques et grossiers de François Hollande comparant
les opposants armés au gouvernement syrien aux Forces Françaises de l’Intérieur
(FFI) dans leur lutte pour libérer Paris de l’occupation allemande (puisque le
régime de Vichy ne contrôlait pas l’ex capitale française).
Et nous
avons d’autre part une inquiétude qui monte en Turquie dans des segments de la
population de la Turquie qui sont ouvertement hostiles à la politique syrienne
menée par leurs autorités.
Ces
segments de population sont tout sauf négligeables : les 500 000
alaouites arabes de la province de Hatay, les 15 à 20 millions d’alévis et les 15 millions de kurdes.
Ce
n’est à mon avis pas pour rien si le gouvernement turc cherche à stopper un
afflux de réfugiés syriens qui, tout en étant important certes, n’a rien à voir
avec les flux colossaux engendrés par des situations de conflit en d’autres
lieux (Palestine, Libye sous les bombardements amicaux de l’OTAN, Irak émancipé
par les chars américains…).
Parce
que les forces qui secouent la Syrie existent aussi à leur manière en Turquie
et ce n’est pas un hasard si la presse turque donne de plus en plus souvent la
parole à des universitaires qui mettent en garde contre une politique
aventureuse.
Ces
intellectuels ont d’autant plus de mérite qu’ils doivent veiller à ne pas
franchir certaine limites, comme quand il s’agit de la question kurde, limites dont
le dépassement leur vaudrait quelques ennuis.
Les 120
pays Non Alignés réunis à Téhéran devraient
appeler à une solution politique qui passe par une discussion impliquant
les acteurs de la région, dont la Turquie. Qui disait que l’Iran était un pays
isolé ?
Il n’y
a à mon avis aucune chance qu’une telle démarche se concrétise dans la mesure
où les puissances occidentales veulent que la Syrie continue à s’enfoncer dans
une spirale destructrice et meurtrière.
Notons
cependant que le mouvement des Non Alignés se caractérise par un égalitarisme
qu’on aura de la peine à retrouver dans la clique des prétendus « amis de
la Syrie » animée par des pétromonarchies et des puissances néocoloniales
qui manient carotte et bâton pour rameuter du monde à leurs orgies de sang.
Dans
la ville frontière avec la Turquie, le soutien d’Erdogan aux rebelles syriens
suscite la colère
par Alexander Christie-Miller, Christian Science Monitor (USA) 28 août 2012 traduit de l'anglais par Djazaïri
Dans la ville d'Antakya à la frontière
turco-syrienne, le soutien du gouvernement turc à l'opposition syrienne a
déconcerté les habitants qui appartiennent à la même secte chiite que le
président Assad.
Le réfugié syrien Abdulhefiz Abdulrahman se
souvient qu’il avait de nombreux amis dans la ville turque d’Antakya, mais cette
époque semble révolue.
Ce dissident politique avait fui la Syrie
pour arriver dans cette cité frontalière plusieurs mois avant que le
soulèvement contre le régime du président Bachar al-Assad éclate l’an dernier.
«J'ai eu beaucoup d'amis alaouites ici», dit
M. Abdulrahman, se référant à cette branche du chiisme à laquelle une grande
partie de la population d’Antakya adhère.
Les alaouites dominent le régime en Syrie, où
le soulèvement de 18 mois a divisé le pays selon des lignes sectaires, opposant
la minorité alaouite privilégiée contre la majorité sunnite [il est ridicule et
faux d’affirmer que la minorité alaouite est privilégiée, note de Djazaïri].
À Antakya, où le soutien au régime alaouite d’Assad
est profond, l’hostilité monte envers les rebelles syriens et les dissidents
qui ont établi une base temporaire sur place. Et partout dans la province, le
soutien apparent [évident, note de Djazaïri] de la Turquie à l'opposition
syrienne met à mal un délicat équilibre ethnique.
«Avant,
quand je disais que j’étais un réfugié, ils me respectaient,» a déclaré
Abdulrahman au Monitor. «Ils ne me disent même plus bonjour dans la rue.»
Désormais, la frustration locale à propos de
la décision apparente du gouvernement de laisser les dissidents et les
combattants syriens opérer sur le sol turc pourrait exciter de plus grandes
tensions ethniques dans le pays.
Le soutien de la Turquie aux rebelles suscite
la colère
Le gouvernement du Premier ministre Recep
Tayyip Erdogan a fortement soutenu l'opposition syrienne, appelant au
renversement du régime.
Même si la Turquie est un pays laïque, elle
est de plus en plus considérée comme un acteur sunnite [dans le conflit
syrien], aux côtés de l'Arabie saoudite et du Qatar», déclare Bulent Aliriza,
directeur du Programme Turquie au Centre for Strategic and International
Studies à Washington . «Cela affecte inévitablement le corps politique».
Le 26 août, le chef du Parti Républicain du Peuple,
le principal parti d'opposition en Turquie, a accusé le gouvernement de former
les combattants syriens anti-régime après qu'une délégation de son parti se soit vue refuser l'accès à un camp de
réfugiés à la frontière syrienne.
J’ai envoyé nos députés inspecter le camp
dont on disait qu’il était plein d’agents et d’espions, mais les autorités leur
ont dit qu’ils ne pouvaient pas entrer dans le camp,» a déclaré Kemal
Kilicdaroglu aux journalistes. «maintenant, j’attends une réponse du
gouvernement : Qu’est-ce qu’il y a dans ce camp ? Qui entraînez-vous
dans ce camp ? Recrutez-vous des homes pour répandre du sang
musulman ?»
Ankara dément offrir un soutien à l'opposition
syrienne armée, ou lui permettre d’opérer librement à partir du territoire
turc. Mais quand le Christian Science Monitor a visité hier le poste frontière de
Reyhanli près d’Antakya, un officier rebelle qui attendait là nous a dit que
les autorités lui permettaient de passer en Syrie, alors même qu'il n'avait pas
de passeport. Et Reuters, citant des sources à Doha, a rapporté le mois dernier
qu’Ankara a mis en place une base secrète près de la frontière syrienne, en
coopération avec l'Arabie saoudite et le Qatar, pour fournir une assistance
militaire et des moyens de communication aux rebelles.
'Solidarité sectaire'
Pendant ce temps, la tension monte à Antakya.
La semaine dernière, certains habitants ont organisé une manifestation appelant
à l’expulsion [des militants syriens] de la ville, tandis que des militants
syriens ont indiqué au Monitor, qu’ils avaient été convoqués à une réunion avec
des responsables militaires turcs et des officiels de la municipalité qui leur
ont dit qu’ils devaient quitter la ville "pour leur propre sécurité."
Les officiels turcs nient qu’une telle réunion ait eu lieu.
«Les
gens de Hatay ont vécu ensemble pendant des milliers d'années sans tenir compte
de l'origine ethnique ou de la religion», explique Mehmet Ali Edipoglu, un
député local du parti d'opposition de M. Kilicdaroglu. "Le fait que les
tentatives de changement de régime en Syrie se sont transformées en une guerre
sectaire nuit [à ce vivre ensemble]. "
«Ce ne
sont pas des réfugiés qui viennent à Antakya, mais les militants syriens qui
sont armés par le gouvernement pour qu’ils retournent en Syrie", dit-il,
décrivant ceux qui vivent ici [à
Antakya] comme des «assassins».
M. Edipoglu accuse le gouvernement de mener
une politique étrangère sectaire. «[Le gouvernement turc] ne soutient pas un
mouvement laïc, il soutient un mouvement sunnite dont même les sunnites ne
veulent pas», dit-il.
Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, à
la tête du Parti de la Justice et du Développmement au pouvoir (AKP) a déclaré
à plusieurs reprises que son opposition au régime Assad est nourrie par les
violations des droits de l'homme par ce régime, non par une solidarité avec l’opposition sunnite contre le régime .
Mais cela n'a pas empêché des personnalités de haut niveau de l’AKP de lancer des
accusations similaires contre l'opposition au gouvernement turc.
M. Kilicdaroglu, le chef de l'opposition, est
un alévi, un membre d'une secte alaouite turque distincte de la secte alaouite
arabe et qui est forte de 15 à 20 millions de personnes en Turquie. Le nombre
d’alaouites est d’environ 400.000, qui vivent presque tous à Hatay.
En dépit d’origines et de rites religieux
différents, les deux groupes ont tous deux des interprétations laxistes et peu
orthodoxes de l'Islam, et ont ainsi en partage un historique de persécution par
les musulmans sunnites au milieu desquels ils forment une minorité.
Le 6 août, M. Erdogan a mis en colère les
alévis quand il a suggéré que leurs édifices religieux, connus sous le nom de cemevis
, n'étaient pas de véritables lieux de culte. Se référant à la mosquée, il a dit
aux journalistes que "il doit n’y avoir qu'un seul lieu de culte pour les
musulmans." Le mois précédent, la Direction turque des affaires
religieuses avait conclu que les cemevis n'étaient que des "centres
culturels".
En Juillet, Huseyin Celik, vice-président de
l'AKP, a confondu Alaouites et Alevis
quand il a suggéré qu’une «solidarité sectaire» était derrière les critiques
répétées de M. Kilicdaroglu contre la position de la Turquie sur la Syrie,
affirmant que le chef de l'opposition soutenait le régime Assad.
La Syrie sème-t-elle discrètement la
discorde ?
Quelles que soient les motivations du soutien
d'Ankara à l'opposition syrienne, certains craignent que Damas réponde à la
ligne dure de la Turquie en essayant d'attiser les hostilités avec les
minorités que la Turquie a eu du mal à réprimer, en particulier avec les
Kurdes, qui sont au nombre d'environ 20 millions en Turquie et ont subi des
décennies de persécutions par l’Etat.
Plus tôt ce mois-ci une voiture piégée a tué
neuf personnes, dont un enfant de 12 ans dans la ville frontalière de
Gaziantep. La Turquie a imputé l'attaque à la guérilla du Parti des Travailleurs
du Kurdistan PKK), mais elle a également enquêté sur d'éventuelles connexions
syriennes et iraniennes dans cet attentat.
L’attentat a provoqué des tensions entre les
Turcs et une minorité kurde de plus en plus agitée.
Le mois dernier, la Turquie avait réagi avec
fureur après la cession par damas du contrôle d’une grande partie du territoire
syrien à population kurde à une milice liée aux rebelles kurdes qui opèrent en
Turquie.
Erdogan a déclaré que le territoire syrien
était utilisé pour monter des raids transfrontaliers en Turquie, « une
intervention serait donc notre droit naturel.»
À Antakya aujourd'hui, le gouverneur de hatay
Mehmet Celalettin Lekesiz a réfuté une récente série de reportages dans les
médias turcs,et a affirmé que les Syriens dans la province n'étaient ni armés,
ni aidés par l'État, ni persécutés par la population locale.
Il a déclaré aux journalistes lors d'une
conférence de presse que ces allégations faisaient partie d'une campagne «systématique» visant à ébranler la paix dans
la province. "Ces tentatives pour trouver des histoires [pour la presse]
ne sont ni morales, ni raisonnables. Ne contribuons pas aux tentatives de
répandre l’hostilité entre les gens», a-t-il dit.
Koray Caliskan, politologue à l'Université du
Bosphore à Istanbul, estime qu’avec la campagne d’Ankara pour le renversement
du régime Assad, il est inévitable que Damas cherche à attiser l'instabilité
chez son voisin.
"Je crois que si nous nous engageons
dans des politiques dangereuses, comme un changement de régime dans les pays
voisins, ils se livreront à des activités perturbatrices du même genre dans le
nôtre», dit-il.
Libellés : Ahmet Davutoğlu, AKP, Alaouites, Alevis, Antakya, Bachar al-Assad, Gaziantep, Hatay, Mehmet Ali Edipoglu, PKK, Recep Tayyip Erdogan, sunnites, Syrie, Turquie
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