Saga Libya, attention les secousses!
Leadership est
une lettre d’information sud africaine destinée à ce qu’on appelle communément
des « leaders », c’est-à-dire des gens qui comptent et exercent une
influence plus ou moins grande sur l’opinion et les décideurs. Quand ils ne
font pas partie eux-mêmes des décideurs.
Dans un article
d’opinion traitant de l’intervention de l’OTAN en Libye, le journaliste Stef
Terblanche ne fait guère preuve d’originalité, il fait bien mieux que ça
puisqu’il nous donne un aperçu de l’état d’esprit de nombreuses élites
africaines sur l’opération coloniale conduite par les puissances coalisées dans
l’OTAN, principalement les deux ex grandes puissances coloniales, le Royaume
Uni et la France.
Deux pays qui
ont en effet dupé des Etats qui, comme l’Afrique du Sud, entendaient utiliser
le levier onusien pour éviter un bain de sang en Libye et favoriser une issue
négociée à la crise politique traversée par ce pays.
Non seulement la
France et la Grande Bretagne ont outrepassé allègrement les objectifs assignés
par la résolution 1973 de l’ONU mais ces deux pays se sont ingéniés à faire
capoter toutes les initiatives de paix de l’Union Africaine.
La France et la
Grande Bretagne sont peut-ête fières de leurs agissements qui ont débouché sur
l’éviction du colonel Kadhafi mais peut-être devront-elles un jour rendre des
comptes pour les immenses destructions qu’elles ont causé mais surtout pour le
bain de sang qu’elles ont provoqué.
Alors que la
résolution 1973 visait précisément à l’éviter. Mais rassurez-vous, vos journaux vous apprendront sans doute que la très grande majorité des dizaines de milliers de personnes tuées l'ont été du fait des forces du colonel Kadhafi. La presse est effectivement chargée de passer le shampoing moquette sur le tapis de bombes rouge de sang déversé par la France, la Grande Bretagne et les Etats Unis.
Disons cependant à
MM. Sarkozy, Cameron et Obama que certaines victoires sont lourdes de
désillusions à venir car il est clair que l’Afrique du Sud n’est pas prête de
digérer le camouflet qu’elle a subi et une entreprise coloniale qui est
antithétique avec toute l’histoire de cette nation.
Or, l’Afrique du
Sud est déjà un pays qui compte et comptera encore plus demain, c’est un pôle
de puissance qui émerge en Afrique et entraînera bientôt dans son sillage toute
l’Afrique australe. D’autre pôles de puissance émergeront sans doute, je pense
ici au Nigeria dont le gouvernement a reconnu l’autorité du CNT mais où de
nombreuses voix s’élèvent pour demander au chef de l’Etat de rapporter cette
décision.
Comment elle
disait déjà la chanson de Yannick Noah ?
Ah oui : « Saga
Africa, attention
les secousses ! »
Par Stef Terblanche, Leadership (Afrique
du Sud) 5 septembre 2011traduit de l’anglais par Djazaïri
La semaine dernière, le monde a été
gratifié du spectacle de la conférence de Paris où des dirigeants occidentaux,
l’un après l’autre – en compagnie de quelques dictateurs arabes de service – se
sont tapés sur l’épaule pour se féliciter d’avoir «libéré» la Libye
du pouvoir de Mouammar Kadhafi. Ce qui rappelait irrésistiblement l’infâme
conférence de Berlin en1884 où l’Afrique avait été découpée entre colonisateurs
européens.
A juste titre, le président Sudafricain
Jacob Zuma a fait savoir – comme tout Africain qui se respecte aurait dû le
faire – qu’il n’aurait rien à voir avec le cynisme de ce cirque organisé
ostensiblement par le président Français
Nicolas Sarkozy et le premier ministre Britannique David Cameron, pour décider
de l’avenir de la Libye… comme si ce n’était pas aux Libyens et aux Africains
eux-mêmes.de le faire.
En fin de compte, il y avait une absence
flagrante de dirigeants Africains influents, un certain nombre de pays
africains et l’Union Africaine (UA) ayant refusé de reconnaître le Conseil
National de Transition (CNT) installé par l’OTAN en tant que nouveau
gouvernement de la Libye. L’Algérie, voisine de la Libye, était présente mais
seulement comme observateur et peut-être seulement parce que sa frontière
commune avec la Libye lui a donné des motifs impérieux..
La Russie et la Chine – qui se sont toutes
deux opposées à la campagne militaire conduite par l’OTAN pour chasser Kadhafi –
étaient aussi présentes comme pays observateurs, la Russie ayant reconnu le CNT à
peine quelques jours auparavant. Cependant, ces deux pays ont d’importants intérêts
présents en Libye tandis que la Chine a aussi d’énormes intérêts ailleurs en
Afrique, par exemple en Angola qui est maintenant son plus gros fournisseur de
pétrole.
Pour beaucoup de gens, la conférence de
Sarkozy et Cameron, version 2011 de la
“ruée vers l’Afrique”, ramène aussi à l’esprit le discours d’acceptation du
leader de l’ANC Albert Luthuli quand il reçut le prix Nobel de l paix et
dit : « Notre continent a été découpé par les grandes puissances. Des
gouvernements étrangers ont été imposés au peuple africain par la conquête
militaire et la domination économique. »
Comme Vusi Gumede de l’université de
Johannesburg nous l’a rappelé si éloquemment dans un article d’opinion du
Sunday Independent ce weekend : « Un cas d’espèce 50 ans plus tard
est la douloureuse question de la Jamahiriya Arabe Libyenne. Il y a d’autres
cas comme la Côte d’ivoire qui est une bombe à retardement. »
A ces deux cas, Gumede aurait pu ajouter
la “domination économique” par la Chine
qui s’accentue dans de nombreux pays africains, ou le désordre anarchique que
les Etats Unis ont laissé derrière leur tentative de « conquête
militaire » en Somalie.
Ce dernier pays avait d’abord été un pion
géopolitique pendant la guerre froide entre les USA et l’Union Soviétique dans
leur volonté de contrôler la Corne de l’Afrique. Les USA avaient maintenu de
bonnes relations avec le régime meurtrier de Siad Barre jusqu’à son éviction.
Le pays se désintègrera dans une anarchie complète et les Etats Unis prendront
la fuite la queue entre les jambes après la tragédie de l’hélicoptère tombé
entre les mains des seigneurs de la guerre.
Aujourd’hui, les Etats Unis sont revenus
indirectement en Somalie et soutiennent une des parties au conflit là-bas
contre le mouvement islamiste al-Shabab à qui on reproche l’aggravation de la
situation. Mais cette fois, l’armée des Etats Unis n’est pas directement
impliquée. Washington a envoyé à Mogadiscio Richard Rouget, un mercenaire
Français à la tête d’une équipe de 40 hommes, des « mentors » qui
forment une «force de maintien de la paix»en Somalie.. Rouget travaille pour
une compagnie de sécurité privée établie à Washington qui est connue pour ses
activités criminelles et ses liens présumés avec plusieurs coups de force en
Afrique et un assassinat. Il avait aussi été le bras droit d’un autre fameux
ancien mercenaire, Bob Denard.
D’anciens soldats Français, Britanniques
et, malheureusement oui, Sudafricains sont au nombre de ceux qui travaillent
avec lui. Le Département d’Etat US finance la compagnie de Rouget, pourtant
tout le monde sait le niveau de destruction qui résulte de ce genre
d’opérations clandestines US.
Les pays africains ont refusé de permettre aux Etats Unis d'installer leur commandement militaire pour l’Afrique (AFRICOM) – un des
dix commandements régionaux des forces armées US dans le monde - sur le sol
africain. Les Etats Unis ont donc dû baser leur commandement en Allemagne
« jusqu’en 2012 », année de réévaluation de la situation.
Le général William E. Ward, commandant de
l’AFRICOM a récemment effectué plusieurs visites au Botswana dans le cadre d’un
net accroissement de la coopération militaire entre les deux pays. C’est ce
fait et la rumeur selon laquelle les USA allaient installer une base au
Botswana qui avaient amené le leader du mouvement de jeunesse de l’ANC, Julius
Malema, à faire une déclaration retentissante concernant le soutien de son
organisation à un changement de régime au Botswana, une déclaration qui lui a
valu des problèmes avec le parti au pouvoir en Afrique du Sud.
Africains Concernés [ou Inquiets], dont Vusi Gumede
est membre, a écrit une lettre ouverte à tous les peuples d’Afrique et du
monde, faisant le constat de l’échec des nations Unies dans le monde, et
particulièrement en Afrique par son adoption de décisions inappropriées.
“En tant qu’Africains inquiets, nous
n’avons pas d’aute choix que de nous mobiliser et de réaffirmer notre droit et
notre devoir de décider de notre destin en Libye et partout ailleurs sur notre
continent,” écrit Gumede. Il souligne la manière candide avec laquelle l’OTAN a
interprété et appliqué la résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU pour
imposer une « zone d’exclusion aérienne » en Libye, l’Afrique du Sud
ayant été bernée pour qu’elle lui apporte son soutien (voir Out of Africa de la semaine
dernière).
Comme l’Afrique du Sud, de nombreux pays
africains et d’autres pays du BRICS [Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du
Sud] ont
condamné le comportement arrogant du Royaume Uni et de la France qui ont
recouru à la seule force militaire au lieu du recours proclamé à « tous
les moyens » pour protéger les civils Libyens.,puis ont fait évoluer l’objet de l’action de la protection
des civils à l’obtention d’un changement de régime à tout prix en Libye. En fin
de compte, beaucoup, beaucoup de civils ont été tués – pas protégés – par la
campagne incessante de bombardements de l’OTAN, les immenses ressources
pétrolières de la Libye étant la récompense ultime.
Ironiquement, tout a commencé aux Nations
Unies en lesquelles le grand dirigeant encore vivant de l’Afrique du Sud, Nelson
Mandela, avait tellement foi quant des délibérations étaient en cours pour
savoir si les Etats Unis et la Grande Bretagne devaient attaquer l’Irak pour
éliminer son arsenal présumé d’armes de destruction massive… des armes qu’il
n’avait jamais eues.
A l’époque, Mandela avait dit: “Il n’y a
qu’une solution et une seule et elle passe par les nations Unies. Si la Grande
Bretagne et les Etats Unis vont aux Nations Unies et que les Nations Unies
disent avoir des preuves concrètes de l’existence de ces armes de destruction
massive en Irak et que nous sentions que nous devons faire quelque chose à ce
sujet, nous y serions tous favorables. »
La Grande Bretagne et les Etats Unis firent ce qu'ils voulurent de toute façon – ils envahirent
l’Irak sur la base de leurs mensonges et sous le prétexte qu’ils sauveraient
des millions de vies en agissant ainsi.
Avec le prétexte humanitaire semblable de
sauver des vies, la Grande Bretagne et la France ont outrepassé la résolution
du Conseil de Sécurité de l’ONU pour attaquer la Libye et obtenir un changement
de régime. Plusieurs initiatives
louables de l’Union Africaine dans lesquelles l’Afrique du Sud a joué un rôle
moteur et qui cherchaient à aboutir à un règlement négocié en Libye pour éviter
un bain de sang ont tout simplement été ignorées par la Grande Bretagne, la France
et leurs alliés de l’OTAN. L’Afrique n’a pas été autorisée à avoir une marge de manoauvre pour apporter une solution africaine à un problème africain.
«L’Afrique et le monde en développement
sont donc en droit d’être atterrés, car les Libyens sont des Africains et font
partie du monde en développement qui a beaucoup souffert de l’impérialisme et
du colonialisme. Les Libyens ont payé et continuent à payer, de leurs vies,
pour l’objectif occidental de changement de régime,» écrit Gumede. En
effet..
Libellés : Afrique du Sud, CNT, Libye, Mouammar Kadhafi, ONU, OTAN, Stef Terblanche, Union Africaine
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