Quelques réflexions sur l'islamophobie et la laïcité
Les sociétés occidentales connaissent une évolution idéologique assez remarquable dont une des caractéristiques est la montée de ce qu’on peut appeler l’islamophobie.
Aux Etats Unis où le changement est souvent impulsé par des « entrepreneurs » au sens où l’entend Howard S. Becker, qui se chargent d’un sujet et de son lancement sur le marché des idées, l’origine de cette évolution peut à la fois être datée et située quant à son origine.
En Europe, les choses sont plus compliquées parce que le marché idéologique est plus contraint tant par les caractéristiques propres à chaque pays que par des lois et des règlements. Le poids de l’histoire, notamment de celui de la période nazie, constitue encore un frein à une manifestation plus franche de l’islamophobie.
L’islamophobie ne pourra en effet revêtir un caractère entièrement acceptable qu’une fois que les mouvements d’extrême droite auront renoncé à la contestation de la «shoah» ou à la minimisation de "l'holocauste" et à l’antisémitisme. L’extrême droite entrera alors de plain pied dans l’échiquier politique et sera autorisée à nouer des alliances électorales ou de gouvernement comme c’est déjà le cas aux Pays Bas avec le parti de Geert Wilders
Pour l’heure, l’islamophobie recourt à des arguments qui peuvent sembler de bon sens comme ceux de ce politicien Français, avocat de son état, qui avait plaidé que toute personne devait pouvoir être identifiée, reconnue et donc avoir le visage découvert.
Une belle idée qui ne l’a cependant pas poussé à demander qu’on légifère sur les postiches, fausses barbes et autres perruques. Dommage car il aurait été là au bout de sa logique ! Lui-même n’ayant jamais eu à expliquer pourquoi il se présente publiquement sous un patronyme qui n'est pas son nom d'origine. Ce politicien a en quelque sorte mis une burka sur son véritable nom!.
Mais l’argument de cet homme politique n’est bien sûr rien à côté de ceux qui réfèrent à la défense des droits de la femme. Ou encore de ceux qui affirment vouloir défendre la laïcité, un principe bien connu en France et que semblent découvrir certains pays européens qui l’ignoraient dans le fonctionnement de l’Etat, comme la Belgique. C'est à cette question de la laïcité que je me limiterai ici.
Si d’aucuns considèrent que l’interdiction du «voile» en Belgique est simplement une péripétie d’une question plus générale il faut noter qu’au contraire les autorités belges ont pu aisément légiférer sur la question parce que le royaume n’est pas un Etat laïque. Et que la France a légiféré à ce sujet en dérogeant précisément aux principes de la laïcité.
Récemment encore, ce fut au tour du premier ministre britannique David Cameron d’indiquer qu’il souhaitait légiférer sur la question de la tenue vestimentaire des musulmanes. Or, comme vous le savez sans doute le Royaume Uni est un Etat officiellement chrétien anglican et la reine, qui est chef de l’Etat, est aussi chef de cette église tandis que la religion anglicane est enseignée à l’école publique.
Ces problématiques identiques qui apparaissent dans des pays différents au niveau de leur rapport au religieux, de l’islam singulièrement, nous montrent l’existence d’une dynamique propre à la question de l’Islam en occident et que cette dernière n’a rien à voir avec la «laïcité».
Parce qu’alors que certaines manifestations extérieures de l’Islam, qui sont parfois plus ou moins marginales, peuvent se trouver au centre du débat public et faire l’objet d’anathèmes règlementaires, d’autres pratiques religieuses sont par contre prises en charge par les pouvoirs publics au sens large.
Ainsi, dans la France laïque, cette organisation en catimini d’une session spéciale d’’une épreuve de concours pour tenir compte d’une fête juive, le report d’un examen universitaire en 2009 ou la modification du calendrier des épreuves de la session 2005 du baccalauréat. Ou encore, cet office HLM de la couronne parisienne qui a équipé certains de ses immeubles de serrures « casher » pour éviter aux locataires Juifs pratiquants de risquer de rompre le sabbat en actionnant une serrure électrique (une info donnée par le Parisien Libéré , introuvable depuis).
Je ne discuterai pas de la légitimité de ces mesures. je me bornerai simplement à constater que ce ne sont pas des choses dont on aime trop parler en France, parce que voyez-vous, la France est une république laïque…
Dans la grande Bretagne, qui n’est pas laïque comme on l’a dit, on a moins de gêne pour en parler. Le Daily Mail, par exemple, fait un article sur un passage protégé dans une rue aux abords d’une synagogue londonienne où le boîtier qui permet aux piétons d’appeler pour que le bonhomme de l’écran de signalisation passe du rouge au vert a été remplacé par un dispositif à minuterie automatique faisant passer le feu du rouge au vert toutes les 90 secondes,
De sorte que les Juifs pratiquants n’auront pas à enfreindre une loi religieuse qui leur interdit d’utiliser l’électricité et de faire fonctionner des machines pendant le sabbat.
Le passage piéton est proche d’une synagogue très fréquentée, et appuyer sur un bouton pour actionner le boîtier est considéré comme une infraction aux règles strictes qu’appliquent les Juifs orthodoxes.
Le trafic routier sera interrompu toutes les 90 secondes du vendredi soir à la tombée de la nuit le samedi, couvrant ainsi la période du sabbat juif.Le passage protégé se trouve sur une des rues à forte circulation de Londres – la North Circular au carrefour Henlys Corner. Mais les autorités insistent sue la fait que la circulation ne sera pas perturbée pour autant.La décision de placer des dispositifs automatiques sur les passages protégés après que des responsables de la Finchley United Synagogue aient expliqué leur problème à l’équipe de Transport for London, l’organisme chargé d’entretenir les principales artères de la capitale. TfL assure que le dispositif automatique n’a pas entraîné de surcoût.
Au moment où j’écris ces lignes, l’article a fait l’objet d’un peu plus de 700 commentaires de lecteurs dont beaucoup font part de leur étonnement, si ce n’est de sentiments peu amènes.
L’article conclut sur un autre “accommodement” consenti pour la communauté juive, la possibilité de délimiter dans le même quartier un érouv « controversé. Un érouv, nous dit l’article, est une zone où les Juifs pratiquants ont le droit par exemple de pousser un landau ou un fauteuil roulant sans toutefois être autorisés à utiliser l’électricité.
Il n’y pas d’érouv en France, laïcité oblige. Je veux dire qu’en fait ils existent, mais n’ont guère droit de cité dans le discours public, on n’en parle pas.
Tapez dont « érouv » sur Yahoo ou sur Google et vous verrez qui en parle : quelques blogs, des sites religieux juifs, wikipedia . S’il y en a d’autres, faut bien chercher.
Un élu comme Michel Bulté, ancien maire RPR du 19ème arrondissement de paris l’avait dit ouvertement pourtant en 1999 :
«J'assume tout à fait la politique en faveur de la communauté juive et, contrairement à certains faux-derches qui se sont absentés lors du vote, je renouvellerai mon vote en faveur de la garantie d'emprunt [pour le centre scolaire de la rue Petit] du conseil régional" J'espère que ma compréhension envers toutes les communautés sans exclusive sera un atout pour 2001. Défendre à tout crin la laïcité dans un quartier de mosaïque religieuse, c'est l'erreur du PS.»
Vous admirerez les arguments de M. Bulté qui explique qu’il ne favorise aucune communauté mais qu’il assume tout à fait le fait d’en favoriser une. Bulté est sûrement un maître du pilpoul, une technique de bavardage proche de ce qu’on appelle plus communément ‘enculage de mouches.’ Aux dernièrs nouvelles, Bulté qui avait commencé maoîste avant de rejoindre le RPR puis l’UDF était au MODEM de François Bayrou. Un homme de convictions, c’est incontestable.
Avec ces propose de M. Bulté, nous sommes deux ans seulement avant les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats Unis et le lancement définitif de la campagne islamophobe. Cette campagne s'accompagne paradoxalement partout d'un renforcement du communautarisme qui devient une réalité incontournable de la vie politique, un fait qui apparaît d'une manière éclatante aux Etats Unis, le modèle des néolibéraux plus ou moins assumés qui gouvernent dans nombre de pays occidentaux.
J'étais parti pour faire un billet très court mais de fil en aiguille, (et de manière peut-être un peu décousue si j'ose dire) je me suis laissé aller à réfléchir un peu plus avant sur ces questions de laïcité et d'islamophobie. J'espère que ces cogitations seront utiles aux lecteurs qui s'intéressent à ces thématiques.
Libellés : Belgique, érouv, Howard S. Becker, islamophobie, laïcité, Londres, Michel Bulté, Royaume Uni, sabbat
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