Afghanistan, Irak, Libye, Syrie: responsabilité de protéger ou droit de semer la mort et la désolation
Vijay Prashad nous parle des prétendues guerres humanitaires que livre ou entend livrer l'Occident.
Son
article traite essentiellement de la Libye, exemple type d'une guerre
meurtrière au prétexte de protéger une population qui avait déjà,
affirmait la propagande, subi de lourdes pertes au moment où la décision
d'intervenir avait été prise.
Mais il est clair que ce qu'écrit Vishay Prashad est parfaitement valable pour la situation actuelle en Syrie.
Par Vijay Prashad, The Hindu (Inde) 12 mars 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri
Les
Etats-Unis utilisent souvent des chiffres de victimes civiles exagérés
pour plaider en faveur d'une intervention militaire dans les régions
déchirées par des conflits
Depuis
les années 1990, l'Occident a justifié ses interventions militaires par
des motivations généreuses - pour destituer des dirigeants néfastes qui
oppriment leur peuple ou qui ont commencé à pratiquer des politiques
qui semblent génocidaire. Porté par l'intervention en Yougoslavie et
mortifié par les massacres au Rwanda, l'Occident a incité en 2005 les
Nations Unies à adopter une politique connue sous le nom de
Responsabilité de Protéger (R2P). Si l'ONU établit qu’un génocide est
imminent, elle a l’obligation de demander à ses Etats membres d’agir
pour protéger les civils contre un tel danger. Les actions prévues
comportent notamment "des démarches diplomatiques, humanitaires
appropriées et d’autres moyens pacifiques" qui sont conformes avec les
chapitres VI et VIII de la Charte des Nations Unies. Si ces mesures ne
suffisent pas, l'ONU est enjointe d'agir sur la base du Chapitre VII, à
savoir d'utiliser la force militaire. La R2P a consacré la doctrine de
l'intervention militaire altruiste [liberal] dans les principes de
l'ONU.
Il
ya un an, l'ambassadeur Indien à l'ONU, Hardeep Singh Puri, a fait une
critique vigoureuse de la doctrine de la R2P. L’ambassadeur Puri a
souligné que l'ONU utilise la doctrine R2P de manière «sélective», et
que quand l'ONU choisit d’intervenir dans un conflit, la phase armée est
immédiate plutôt que «calibrée et progressive». La sélectivité est en
fonction de ceux qui continuent à exercer leur pouvoir à travers les
organes de l'ONU - c'est-à-dire que c’est l'Occident qui établit l'ordre
du jour pour l'utilisation de la doctrine R2P.
L’ambassadeur
Puri avait la Libye en tête à l’époque où il avait formulé ces
observations. Le conflit en Libye a commencé en Février 2011. En une
semaine, Ibrahim Dabbashi, le représentant adjoint de la Libye à l'ONU,
avait fait défection pour rallier la rébellion et il était devant les
caméras de télévision e 21 Février 2011.
“Nous
nous attendons à un véritable génocide à Tripoli.” Deux jours plus
tard, la télévision satellitaire Al-Arabiya, propriété de membres de la
famille royale saoudienne, commençais à diffuser des informations selon
lesquelles 50 000 personnes avaient été blessées et 10 000 tuées –
toutes en l’espace d’une semaine, le régime Kadhafi assumant la part du
lion dans la responsabilité des massacres.
La
source de ces informations était Sayed al-Shanuka, le représentant de
la Libye à la Cour Pénale Internationale, qui avait fait défection en
faveur de la rébellion. Le britannique David Cameron et le Français
Nicolas Sarkozy avaient commencé à appeler à une «zone d’exclusion
aérienne» et à une certaine forme d'intervention militaire. La question
de la R2P avait déjà été soulevée. Le président américain Barack Obama
avait suivi, la Ligue arabe (sous la pression saoudienne) s’était
alignée, l'ONU avait voté pour uneintervention et les bombardiers
français et les missiles de croisière américains avaient frappé.
Quelques mois plus tard, le cadavre de Kadhafi était exposé dans les
rues de Syrte.
Le
problème est que, même en Février 2011, Human Rights Watch n'était pas
été en mesure de confirmer plus que quelques centaines de morts.
Néanmoins, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon, avait commencé à
parler d’«informations de la presse" sur l’utilisation d’hélicoptères
par les autorités libyennes pour tuer un grand nombre de civils.
Le
Secrétaire Américain à la Défense Robert Gates, et le président du
commandement interarmes Mike Mullen avaient également parlé
d’"informations de la presse", mais quand il s avaient été mis en
demeure de corroborer les informations des chaînes satellitaires en
s’appuyant sur tout l'arsenal des services de renseignement américains,
ils avaient déclaré: «. Nous n'avons aucune confirmation" Une telle
hésitation n’avait pas dissuadé les représentants qui siègent autour de
la table en fer à cheval à New York de lever la main pour voter oui à
la résolution 1973, qui a permis à l'OTAN d'intervenir militairement en
Libye.
Tout
le poids de la justification de la Résolution 1973 de l’ONU reposait
sur l'allégation de "lourdes pertes civiles". On a aujourd’hui des
informations provenant du ministère libyen des affaires des martyrs et
des personnes disparues affaires selon lesquelles le nombre total des
rebelles et des civils tués au cours du conflit de 2011 s’élève à 4,700
auxquels s’ajoutent 2.100 personnes disparues. Ce nombre ne comprend pas
les morts parmi les troupes de Kadhafi (et probablement pas les
victimes dans les bastions de Kadhafi, comme Syrte). Miftah Duwadi, N°2
de ce ministère, a déclaré au Libyan Herald du 7 Janvier que ce n'est
pas encore un "chiffre exact", mais que c'est ce qu'ils ont pour le
moment. Il est probable que les chiffres définitifs ne seront pas bien
loin des chiffres provisoires.
Ces
données de l'actuel gouvernement libyen contredisent en tout point les
reportages d'Al-Arabiya et, bien sûr, les informations du Conseil
National de Transition, qui avait affirmé constamment que des dizaines
de milliers de civils avaient été tués par le régime de Kadhafi dès le
premier mois de l'insurrection. Il semble maintenant que tel n’était pas
le cas, et en effet, les chiffres n’ont rein à voir avec ceux d’un
génocide. C’est un avertissement pour ceux qui acceptent sans mot dire
ce qui leur vient de médias, qui ont des intérêts particuliers quant à
l'issue des conflits. Il soulève également la question de savoir comment
l'ONU arrive à certains de ses chiffres.
Le
Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU avait aussi fait des
affirmations sur des crimes contre l’humanité en février et en mars
2011. Il s’avère maintenant que la société privée qu’il avait engagée
pour collecter, mais pas pour évaluer, les chiffres des victimes, est
Benetech qui est financée en partie par le Département US de la Défense.
Non seulement Benetech ne procède pas à une évaluation critique des
chiffres qu’elle claironne, mais ses propres intérêts ne sont peut-être
pas aussi scientifiques qu’elle le prétend.
L'ONU
a refusé d'ordonner une évaluation de l'intervention de l'OTAN sur la
base d’informations sur les victimes civiles de ses bombardements
(comme je l'avais indiqué dans "Quand le Protecteur se mue en Tueur»,
The Hindu , 11 Juin, 2012). Rien n’indique que l’ONU envisage une
évaluation de la manière dont sa doctrine R2P a été subornée pour créer
une résolution de l'ONU afin de justifier l'intervention de l'OTAN,
particulièrement à la lumière des récentes données chiffrées libyennes.
Vijay Prashad |
Vijay
Prashad est professeur d'université à Hartford dans le Connecticut (USA). En
2013-2014, il occupera la chaire Edward Saïd à l'Université Américaine
de Beyrouth. Il est l’auteur entre autres d’Arab Spring, Libyan Winter
(New Delhi: LeftWord, 2012)
Libellés : Ban Ki-Moon, Benetech, Conseil National de Transition, David Cameron, Etats Unis, Hardeep Singh Puri, Inde, Libye, Ligue Arabe, Mouammar Kadhafi, ONU, OTAN, R2P, Vijay Prashad
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home