Du fanatisme en costume cravate, un texte de John Pilger
Dans
mon précédent post, je parlais de ces dirigeants Occidentaux fanatiques. Ils ne
correspondent certes pas à l’image qu’on a habituellement du fanatique, puisqu’ils
s’habillent en costume cravate ou en tailleur sans dédaigner à l’occasion le polo et le blue
jeans. Ils n’ont que les mots liberté, démocratie à la bouche.
Toujours
est-il que nous leur devons la plupart des grands crimes perpétrés depuis la fi
de la dernière guerre mondiale et qu’ils sont toujours là pour soutenir l’injustice.
Ou pour crier à l’injustice et au manque de démocratie quand leurs intérêts
sont mis en cause.
Ils n’hésitent
pas à s’allier avec ceux qui correspondent à l’image habituelle du fanatique
sans omettre de leur refaire un portrait de combattants de la liberté.
Ce
fanatisme n’est pas religieux même si la
religion peut lui donner une inflexion particulière. C’est un fanatisme
idéologique et c’est le thème de cet article de John Pilger
John Pilger |
par John Pilger, New Statesman (UK) 6
Septembre 2012, traduit de l’anglais par Djazaïri*
Quel est le plus puissant, le plus violent
“isme” au monde ? La question va réveiller des démons habituels, comme
l’islamisme, puisque le communisme a maintenant quitté la scène. La réponse,
écrivait Harold Pinter, n’est que “superficiellement enregistrée, très peu
documentée, pour ne pas dire très peu reconnue”, parce qu’une seule idéologie
clame ne pas être idéologique, n’être ni de droite ni de gauche, la voie
suprême. C’est le libéralisme.
Dans son essai “De la liberté” en 1859,
auquel les libéraux modernes rendent hommage, John Stuart Mill décrivait le
pouvoir de l’empire. “Le despotisme est le mode légitime de gouvernement en ce
qui concerne la gestion des barbares”, écrivit-il, “tant que le but poursuivi
est leur amélioration et que les moyens employés correspondent effectivement à
cet objectif.” Les barbares” représentaient une grande partie de l’humanité
dont “l’obéissance implicite” était exigée. Le libéral français Alexis de
Tocqueville croyait également en la conquête sanglante des autres comme étant
un “triomphe de la chrétienté et de la civilisation” auquel elles étaient
“clairement prédestinées aux yeux de la Providence”.
“L’historien Hywel Williams écrivait en 2001
que “c’est un mythe utile que de dire que les libéraux sont les pacifistes et
les conservateurs les va t’en guerre, mais l’impérialisme de la voie libérale est
peut être plus dangereux à cause de sa nature ouverte [qui ne se donne pas de limites], de sa conviction qu’il
représente un mode de vie supérieur de vie tout en niant son autosatisfaction
fanatique et arrogante.” En écrivant cela, il avait à l’esprit un discours tenu
par Tony Blair après le 11 Septembre 2001, dans lequel il promettait de “réorganiser
ce monde autour de nous” conformément à ses “valeurs morales”. Au moins un
million de morts plus tard, rien qu’en Irak, ce héraut du libéralisme se
retrouve aujourd’hui employé par la tyrannie du Kazakhstan avec un salaire de
13 millions de dollars.
Les crimes de Blair ne sont pas une exception.
Depuis 1945, plus d’un tiers des membres des Nations-Unies, 69 pays, ont
souffert d‘une partie ou de tout ce qui suit. Ils ont été envahis, leurs
gouvernements renversés, leurs mouvements populaires réprimés, leurs élections
subverties et truquées et leurs populations bombardées. L’historien Mark Curtis
évalue en millions le nombre de morts.
Le projet était principalement celui des Etats-Unis,
ce porte-drapeau du libéralisme dont le vénéré président “progressiste” John F.
Kennedy, d’après une recherche récente, avait autorisé le bombardement de
Moscou au moment de la crise cubaine en 1962. “Si nous devons utiliser la
force”, avait dit Madeleine Albright, ministre des affaires étrangères du
gouvernement libéral [au sens aussi de gauche comme on l’entend aux Etats Unis]
de Bill Clinton, “c’est parce que nous
sommes l’Amérique. Nous sommes la nation indispensable. Nous avons de la
hauteur. Nous voyons plus loin dans l’avenir.” Une bonne définition de ce
qu’est la violence du libéralisme moderne.
Ce qui se passe en Syrie s’inscrit dans un
projet historique. Ce qui suit est un
document commun aux services secrets britanniques et américains qui a
fuité :
“Afin
de faciliter l’action des forces libératrices (sic), un effort spécial
doit-être fait pour éliminer quelques individus clés et provoquer des troubles
intérieurs en Syrie. La CIA est prête et le SIS (MI6) va essayer de lancer quelques
petites actions de sabotages et des coups de main (NdT: en français
dans le texte original) en Syrie, en travaillant avec ses contacts auprès de
certains individus … un certain niveau de peur est nécessaire…des heurts
frontaliers mis en scène donneront le prétexte pour une intervention… La CIA et
le SIS devraient utiliser… leurs capacités à la fois dans le domaine
psychologique et dans le domaine de l’action pour augmenter la tension.”
Ces lignes datent de1957, mais elles auraient
aussi bien pu être tirées d’un rapport récent du Royal United Services
Institute: “Une trajectoire de collision pour une intervention”, dont l’auteur
dit avec de manière pseudo-euphémique: “Il est très probable que des forces
spéciales et des sources pour les services de renseignement occidentaux sont
déjà en Syrie depuis pas mal de temps.”
Ainsi une guerre mondiale pointe à l’horizon
en Syrie et en Iran. Israël, la création violente de l’occident, occupe déjà
une partie de la Syrie. Ceci n’est pas nouveau. Les Israéliens pique-niquent
sur les plateaux du Golan pour regarder une guerre civile qui est dirigée par
les services de renseignement occidentaux depuis la Turquie, financée et armée
par la monarchie moyenâgeuse d’Arabie Saoudite.
Après avoir volé la majeure partie de la
Palestine, attaqué vicieusement le Liban, affamé la population de Gaza et
construit un arsenal nucléaire illégal, Israël n’est pas ciblée par la campagne
actuelle de désinformation visant à installer des régimes clients à Damas et à Téhéran.
Le 21 Juillet, l’éditorialiste du Guardian de
Londres Jonathan Freedland avertissait que “l’occident ne n’allait pas rester à
l’écart bien longtemps… Les Etats-Unis et Israël sont inquiets de voir le stock
d’armes chimiques et nucléaires de la Syrie, qui est maintenant sorti des
entrepôts pour être transféré; ils ont peur qu’Assad puisse choisir de partir
dans un nuage létal de gloire.” Qui dit cela ? Les “experts” habituels et les
barbouzes.
Comme eux, Freedland désire “une révolution
sans une intervention massive comme ce fut le cas en Libye”. D’après ses
propres archives, l’OTAN avait lancé 9700 sorties aériennes contre la Libye,
dont plus d’un tiers contre des cibles civiles avec aussi des missiles dotés de
têtes à uranium appauvri. Regardez les photos des ruines de Misrata et de Syrte
et les fosses communes localisées par la Croix Rouge. Lisez le rapport de
l’UNICEF sur les enfants tués, la plupart n’avaient pas 10 ans.” Exactement comme
pour la destruction de la ville irakienne de Falloujah, ces crimes ne sont pas les
titres de la presse, parce que l’information comme la désinformation est une
arme offensive complètement intégrée dans le champ de bataille.
Le 14 Juillet, L’Observatoire Libyen des
Droits de l’Homme, qui s’était opposé à Kadahafi et à son régime rapportait:
“La situation des droits de l’Homme en Libye est maintenant bien pire que sous
Kadhafi.” Le nettoyage ethnique y est rampant. D’après Amnesty, l’entière
population de la ville de Tawergha “est toujours empêchée de retourner chez
elle tandis que ses maisons ont été pillées et brûlées.”
Dans le milieu des universitaires
anglo-américains, des théoriciens influents connus sous le vocable de
“réalistes libéraux” enseignent depuis longtemps que les impérialistes libéraux
- un terme qu’ils n’utilisent jamais - sont des pacifistes et des faiseurs de
paix pour le monde, des gestionnaires des situations de crise, plutôt que des
fauteurs de troubles. Ils ont enlevé le facteur humain de leur étude des
nations et l’ont congelé avec un jargon au service d’un pouvoir belliqueux. Ils
ont autopsié des nations entières, ils ont identifié “les Etats faillis” (les nations
difficiles à exploiter) et les “Etats voyous” (nations qui résistent à la
domination occidentale).
Que le régime soit une démocratie ou une
dictature n’a pas d’importance. La même chose est vraie de ceux qu’on emploie
pour faire le sale boulot. Au Moyen-Orient, du temps de Nasser à la Syrie
d’aujourd’hui, les collaborateurs du libéralisme occidental ont été les
islamistes, plus tard Al Qaïda, tandis que les notions discréditées depuis
longtemps de démocratie et de droits de l’Homme ne servent plus que de
couverture rhétorique à la conquête, “comme requis”… Plus çà change (NdT: en
français dans le texte)…
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John Pilger, célèbre journaliste d’enquête et
documentariste, est un des deux seuls journalistes à avoir obtenu deux fois la récompense suprême du
journalisme britannique; ses documentaires ont été primés au Royaume-Uni et aux
Etats-Unis. Dans un sondage du journal New Stateman sur les 50 héros de notre
temps, Pilger arrivait 4ème derrière Aung San Suu Kyi et Nelson Mandela. “John
Pilger”, écrivait Harold Pinter, “met au jour avec une attention particulière aux
faits, la sale vérité. Je le salue bien bas.” www.johnpilger.com
* sur la base d’une traduction de Résistance 71 révisée par mes
soins
Libellés : fanatisme, idéologie, impérialisme, John Pilger, libéralisme, Syrie
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