Mon voeu pour 2008 : être réaliste (et je formule ce voeu pour vous aussi).
J'ai le plaisir de vous proposer un texte d'une grande figure intellectuelle du monde lusophone, du monde tout court. Dans cet article, le professeur Portugais Boaventura de Sousa Santos nous appelle à être réalistes au sens où l'entend la théologie de la libération, c'est-à-dire de refuser de vivre en acceptant l'humiliation qui consiste à accepter l'inacceptable, c'est-à-dire tout simplement l'injustice. A condition bien entendu de prendre conscience de l'inexistence de cet inacceptable humiliant et d'en prendre la mesure.
Boaventura de Sousa Santos nous donne un aperçu de cet inacceptable vu en quelque sorte au microscope : un village de Palestine occupée. Et, fidèle à sa démarche qui a grandement inspiré les altrmondialistes, il met en lien cet inacceptable microscopique avec d'autres inacceptables présents ou à venir.
A méditer dans ces quelques heures qui nous séparent de l'année 2007. Et aussi de quoi réfléchir toute l'année 2008 et les années qui la suivront.
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par Boaventura de Sousa Santos,
La Jornada (Mexique), 30 décembre 2007, traduit de l'espagnol par Djazaïri (le texte original est en portugais)
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Selon un des grands théologiens de la libération, le jésuite Jon Sobrino – qui eut la chance d’échapper aux assassins de don Oscar Arnulfo Romero au Salvador -, le monde actuel exige de nous d’être réalistes. Etre réaliste signifie vivre de manière à ne pas être honteux de vivre dans ce monde. C’est une exigence incontournable tant sont nombreux les motifs pour nous d’avoir honte et quand, pour vaincre la honte, s’imposent des interventions et des changements d’une ampleur telle que l’action individuelle paraîtrait insignifiante sinon ridicule. Mais cette exigence d’être plus réalistes et donc plus radicaux serait encore plus impérieuse si nous avions à l’esprit que beaucoup de motifs de honte nous échappent parce que nous n’en avons pas conscience, parce que les victimes sont invisibles, silencieuses ou réduites au silence.
Parmi tant de motifs de honte, je me sens honteux de vivre dans un monde où existe Al Walajeh. Nous sommes à Noël. A quatre kilomètres de la ville où naquit Jésus Christ se trouve le village palestinien de Al Walajeh ; il ne nous a pas été facile de nous y rendre et il est encore plus difficile à ses habitants d’en sortir : parce qu’ils ne veulent pas en partir définitivement et parce qu’ils ne peuvent pas en sortir quand ils doivent traiter une affaire hors du village.
Avant 1948 et la création de l’Etat d’Israël, Al Walajeh était une belle et prospère communauté agricole bordée par des collines arborant la végétation propre à cette région. Depuis, le village a perdu 75 % de son territoire et nombre de ses maisons ont été démolies sur ordre de la mairie de Jérusalem au prétexte qu’elles avaient été bâties sans permis, et une grande partie du couvert végétal a été rasé pour faire place aux colonies juives construites dans les environs.
Le peu qui restait a fini d’être détruit pour la construction de quelques kilomètres supplémentaires du nouveau mur de la honte qui, lorsqu’il sera achevé, aura une longueur de 730 kilomètres. Al Walajeh est désormais un camp de concentration dont la clôture, au-delà du mur, porte le nom des colonies de Gilo, Har-Gilo et Giv´at Yael. Les démolitions se poursuivent et certaines maisons en ont été victimes à plusieurs reprises. Le but de cette politique d’humiliation systématique et de destruction est d’obliger les 1700 habitants à abandonner leur village. Ils se refusent pourtant à le faire car c’est l’endroit où ils sont nés, et leurs ancêtres aussi.
Al Walajeh est le symbole du système d’apartheid et de nettoyage ethnique que l’Etat d’Israël a consolidé en toute impunité en Palestine. C’est cette impunité qui me fait honte. Et j’ai encore plus honte dès lors que cette monstruosité n’est qu’une première petite partie d’un système bien plus vaste d’un système d’impunités qui s’impose par le fer et par le feu dans tout le Moyen-Orient et demain, peut-être, s’imposera dans le monde entier. Au centre de ce système se trouve Israël avec l’appui inconditionnel des USA, la lâche complicité de l’Union Européenne et la corruption des responsables des Etats arabes de la région.
Ce système est tout près d’un test fondamental : l’Iran. On sait que les trois derniers conflits armés de la région – Afghanistan (2001), Irak (2003) et Liban (2006) – ont beaucoup plus renforcé l’Iran qu’Israël. Pour des raisons en partie différentes – contrôle du pétrole de l’Eurasie ou sécurité militaire – ni les USA ni Israël ne se satisfont d’un Iran fort et indépendant. Mais les stratégies pour contenir ce pays peuvent diverger par moment en fonction surtout de considérations d’ordre intérieur.
Les services secrets des USA – ceux là même qui avaient fabriqué les mensonges de George W. Bush pour imposer à tout prix l’invasion de l’Irak – ont décidé cette fois qu’il serait trop dangereux de risquer une troisième guerre mondiale envisagée par Bush sur la base d’un mensonge de plus : que l’Iran était sur le point de produire une bombe atomique. La réaction violente des autorités israéliennes montre à quel point leur paranoïa sécuritaire, peut être destructrice, cette même paranoïa qui empêchera toujours la création de deux véritables Etats en Palestine et encore plus celle d’un véritable Etat multiculturel (la seule solution juste.) Comme auparavant en Irak et en Syrie, Israël peut agir « en solo,» mais avec des conséquences imprévisibles à l’heure actuelle. Et n’oublions pas que la diminution relative de la violence en Irak est due à l’intervention directe de l’Iran.
Alors, afin d’être réaliste, je dénonce ce qui se passe à Al Walajeh et je proclame le boycott d’Israël et j’offre aux habitants de ce petit village deux signes d’espoir. Dans un rapport de Nations Unies, de février passé, on affirme pour la première fois que les politiques d'Israël « ressemblent à celles de le apartheid”.
Et par ailleurs, pour la troisième fois consécutive ces dernières années, des dirigeants israéliens ont renoncé à débarquer sur certains aéroports européens de crainte d’être arrêtés pour des accusations de crimes de guerre.
Selon un des grands théologiens de la libération, le jésuite Jon Sobrino – qui eut la chance d’échapper aux assassins de don Oscar Arnulfo Romero au Salvador -, le monde actuel exige de nous d’être réalistes. Etre réaliste signifie vivre de manière à ne pas être honteux de vivre dans ce monde. C’est une exigence incontournable tant sont nombreux les motifs pour nous d’avoir honte et quand, pour vaincre la honte, s’imposent des interventions et des changements d’une ampleur telle que l’action individuelle paraîtrait insignifiante sinon ridicule. Mais cette exigence d’être plus réalistes et donc plus radicaux serait encore plus impérieuse si nous avions à l’esprit que beaucoup de motifs de honte nous échappent parce que nous n’en avons pas conscience, parce que les victimes sont invisibles, silencieuses ou réduites au silence.
Parmi tant de motifs de honte, je me sens honteux de vivre dans un monde où existe Al Walajeh. Nous sommes à Noël. A quatre kilomètres de la ville où naquit Jésus Christ se trouve le village palestinien de Al Walajeh ; il ne nous a pas été facile de nous y rendre et il est encore plus difficile à ses habitants d’en sortir : parce qu’ils ne veulent pas en partir définitivement et parce qu’ils ne peuvent pas en sortir quand ils doivent traiter une affaire hors du village.
Avant 1948 et la création de l’Etat d’Israël, Al Walajeh était une belle et prospère communauté agricole bordée par des collines arborant la végétation propre à cette région. Depuis, le village a perdu 75 % de son territoire et nombre de ses maisons ont été démolies sur ordre de la mairie de Jérusalem au prétexte qu’elles avaient été bâties sans permis, et une grande partie du couvert végétal a été rasé pour faire place aux colonies juives construites dans les environs.
Le peu qui restait a fini d’être détruit pour la construction de quelques kilomètres supplémentaires du nouveau mur de la honte qui, lorsqu’il sera achevé, aura une longueur de 730 kilomètres. Al Walajeh est désormais un camp de concentration dont la clôture, au-delà du mur, porte le nom des colonies de Gilo, Har-Gilo et Giv´at Yael. Les démolitions se poursuivent et certaines maisons en ont été victimes à plusieurs reprises. Le but de cette politique d’humiliation systématique et de destruction est d’obliger les 1700 habitants à abandonner leur village. Ils se refusent pourtant à le faire car c’est l’endroit où ils sont nés, et leurs ancêtres aussi.
Al Walajeh est le symbole du système d’apartheid et de nettoyage ethnique que l’Etat d’Israël a consolidé en toute impunité en Palestine. C’est cette impunité qui me fait honte. Et j’ai encore plus honte dès lors que cette monstruosité n’est qu’une première petite partie d’un système bien plus vaste d’un système d’impunités qui s’impose par le fer et par le feu dans tout le Moyen-Orient et demain, peut-être, s’imposera dans le monde entier. Au centre de ce système se trouve Israël avec l’appui inconditionnel des USA, la lâche complicité de l’Union Européenne et la corruption des responsables des Etats arabes de la région.
Ce système est tout près d’un test fondamental : l’Iran. On sait que les trois derniers conflits armés de la région – Afghanistan (2001), Irak (2003) et Liban (2006) – ont beaucoup plus renforcé l’Iran qu’Israël. Pour des raisons en partie différentes – contrôle du pétrole de l’Eurasie ou sécurité militaire – ni les USA ni Israël ne se satisfont d’un Iran fort et indépendant. Mais les stratégies pour contenir ce pays peuvent diverger par moment en fonction surtout de considérations d’ordre intérieur.
Les services secrets des USA – ceux là même qui avaient fabriqué les mensonges de George W. Bush pour imposer à tout prix l’invasion de l’Irak – ont décidé cette fois qu’il serait trop dangereux de risquer une troisième guerre mondiale envisagée par Bush sur la base d’un mensonge de plus : que l’Iran était sur le point de produire une bombe atomique. La réaction violente des autorités israéliennes montre à quel point leur paranoïa sécuritaire, peut être destructrice, cette même paranoïa qui empêchera toujours la création de deux véritables Etats en Palestine et encore plus celle d’un véritable Etat multiculturel (la seule solution juste.) Comme auparavant en Irak et en Syrie, Israël peut agir « en solo,» mais avec des conséquences imprévisibles à l’heure actuelle. Et n’oublions pas que la diminution relative de la violence en Irak est due à l’intervention directe de l’Iran.
Alors, afin d’être réaliste, je dénonce ce qui se passe à Al Walajeh et je proclame le boycott d’Israël et j’offre aux habitants de ce petit village deux signes d’espoir. Dans un rapport de Nations Unies, de février passé, on affirme pour la première fois que les politiques d'Israël « ressemblent à celles de le apartheid”.
Et par ailleurs, pour la troisième fois consécutive ces dernières années, des dirigeants israéliens ont renoncé à débarquer sur certains aéroports européens de crainte d’être arrêtés pour des accusations de crimes de guerre.
1 Comments:
Félicitations pour cet article qui dénonce sans détours le problème palestinien comme la honte absolue de notre époque ,ètre réaliste c'est de ne pas désespérer d'une amélioration bien problématique de la situation de ces pauvres gens .Je n'ai pas de honte mais de la colère envers ceux que cette situation n'émeut ,ces gens me révoltent carrément . L'egoisme est devenu leur caractéristique principale ,et plus le temps passe plus je pense que Cioran avait raison en écrivant " je rève de ne plus ètre un homme ,de revétir une autre forme de déchéance "! Cimourdain.
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