Au secours BHL, Fienkel, pourquoi les choses ne sont-elles pas aussi simples que dans votre propos?
par Katha Pollitt, The Nation (USA), 26 août 2006, traduit de l'anglais par Djazaïri
v
Si vous contrôlez le langage, vous contrôlez le débat. Alors que la politique proche orientale de l'administration Bush – s'enfonce toujours plus dans une incohérence sanglante, la « guerre contre la terreur » vient de connaître une subreptice inflexion linguistique. Elle est en train de devenir la « guerre contre le fascisme islamique. « L'expression était dans l'air depuis un bon moment – Nexis [centre documentaire, filiale de l'éditeur Elsevier] la fait remonter à 1990, lorsque l'écrivain et historien Malise Ruthven a employé l'expression « Islamo fascisme » dans le journal The Independant de Londres pour décrire les gouvernements autoritaires du monde musulman ; après le 11 septembre il a été repris par des néocons et des experts va-t-en guerre, y compris Stephen Schwartz dans le Spectator [hebdomadaire britannique] et par Christopher Hitchens dans ce même magazine, pour décrire toutes sortes de méchants musulmans d'Osama aux mollahs Iraniens.
d
Mais ce terme est entré dans le vocabulaire usuel ce mois d'août quand Bush a signalé que le complot terroriste contre des avions de ligne déjoué en Grande-Bretagne "était un rappel brutal que notre nation est en guerre avec les fascistes islamiques." .« Joe Lieberman compare l'Irak « à la guerre civile espagnole, qui était un avant-goût de ce qui allait se produire." Cet éloignement « de la guerre contre le terrorisme " n'arrive pas trop tôt pour les manipulateurs de la langue qui avaient des problèmes avec l'idée de faire la guerre sous un faux prétexte. Sans parler de ceux qui se sont demandés en quoi, si le terrorisme était le problème, envahir l'Irak était la solution. (Extrait de la conférence de presse du 21 août du Président US : Q : " Mais qu'avait à voir l'Irak avec le 11 septembre ?" R : " Rien". Maintenant il nous le dit !)
Qu'est-ce qui cloche avec l'« Islamo fascisme » ? Pour commencer, c'est une analogie historique terrible. Le fascisme italien, le nazisme allemand et d'autres mouvements fascistes européens des années 20 et des années 30 étaient nationalistes et séculiers, étroitement alliés avec le capital international et visaient à créer des Etats puissants, modernes exerçant un contrôle omniprésent. Certains de ses aspects de façade pouvaient sembler anti-modernité -- Mussolini se référait à la Rome antique, les nazis étaient fascinés par la mythologie nordique et autres lubies wagnériennes -- mais la tendance fondamentale était moderne, bureaucratique et rationnelle. On ne voyait pas un chef fasciste consulter la bible pour savoir comment organiser le système bancaire, le code pénal ou le mode vestimentaire des femmes. Même son anti-sémitisme était « scientifique » : Le problème était l'infériorité l'altérité génétiques des juifs, que d'innombrables biologistes, anthropologues et chercheurs en médecine étaient priés de démontrer – et non pas de savoir si les juifs avaient tué le Christ et avaient refusé d'accepter la foi vraie.
Je suis peut-être pédante, mais ne serait-ce que pour se souvenir que les pires atrocités de l'ère moderne ont été commises par les peuples les plus avancés, je pense qu'il vaut mieux garder au mot "fascisme" le contenu historique qui lui est propre.
En second lieu, et c'est plus important, le terme « Islamo fascisme » amalgame une grande variété d'Etats, de mouvements et d'organisations disparates comme si, à l'image des fascistes, ils voulaient tous la même chose et collaboraient pour les réaliser. Les Néocons ont qualifié d'islamo fascistes Saddam Hussein et les Baathistes de Syrie, mais ces tyrans nationalistes au pouvoir relativement sécularisé n'ont rien en commun avec un Al Qaida nébuleux, apatride et fondamentaliste – ainsi que l'admet aujourd'hui Bush lui-même -- ou avec les Talibans, qui veulent renvoyer l'Afghanistan au septième siècle ; et les Talibans ne sont guères comparables au régime iranien qui diffère également (et est aussi légèrement moins répressif) de celui d'Arabie Saoudite -- holà, ce dernier est notre grand allié au Moyen-Orient ! Qui sont les « Islamo-fascistes » en Arabie Saoudite -- le régime actuel ou ses fanatiques religieux d'adversaires? C'est sous le gouvernement soutenu par nous actuellement que des étudiantes ont été contraintes de retourner dans leur école en feu plutôt que de leur permettre de s'échapper sans leurs voiles. Sous ce gouvernement les gens sont fouettés et décapités, les femmes ne peuvent pas voter ou conduire, les culte non Musulmans sont interdits, un code vestimentaire religieux est imposé brutalement par l'Etat et le Wahhabisme -- la dénomination « Islamo fasciste »--est exporté à travers le globe.
"Islamo fascisme" ressemble à une notion analytique mais en réalité c'est un mot qui joue sur l'émotion dans le but de nous faire moins réfléchir et d'attiser nos peurs. Il présente la situation politique déroutante du monde musulman comme un simple problème de Eux contre Nous, avec au final la guerre comme seule réponse, comme avec Hitler. Si vous doutez que n'importe quel musulman britannique âgé de moins de 30 ans est prêt à se faire exploser pour Allah, ou que la mise en pièces de la Constitution des USA est la bonne manière de se protéger contre des attentats suicide, si vous pensez que le Hamas pourrait être moins populaire si les Palestiniens étaient moins malheureux, on vous taille le costume de Neville Chamberlain, pendant que Bush joue au Franklin D. Roosevelt. Le terme « Islamo fascisme » sauve les néocons d'un verdict sévère sur l'invasion de l'Irak (« promenade... roses... bonbons... Chalabi ") en relativisant cette débâcle en cours comme étant un chapitre mineur dans une histoire beaucoup plus importante de fous dangereux qui veulent faire flotter l'étendard vert de l'Islam au-dessus des capitales occidentales. Tout d'un coup, que Saddam n'ait eu aucun lien avec le11 septembre, n'ait pas possédé d'armes de destruction massive, n'ait pas eu l'intention d'attaquer les Etats-Unis ou Israël ne sont plus que des détails -- il détestait la liberté, et c'était suffisant. Il est sans importance non plus, que les Sunnites et les Chiites irakiens semblent moins intéressés à réunir la Oumma qu'à s'entretuer. Avec un peu de chance nous en serons assez effrayés pour ne pas nous demander pourquoi quiconque devrait écouter plus longtemps des gens qui n'avaient absolument rien compris à la plus grande initiative politico-militaire des trente dernières années, et leurs têtes continueront à hanter nos écrans de TV pendant encore de nombreuses nuits à venir. Sus à Téhéran !
Il reste à voir si l' « Islamo fascisme » ramènera les votes des « mamans pour la sécurité » [security moms] socialement libérales qui avaient voté Bush en 2004 mais se sont récemment tournées vers les démocrates. Mais l'expression suscite déjà une forte réaction dans le monde musulman. Alors que j'écris ces lignes, le New York Times porte sur une page entière une « lettre ouverte » à Bush du groupe Al Kharafi, une énorme société koweitienne du BTP, avec des photos de civils libanais tués et blessés. « Nous pensons qu'il y a un malentendu dans la détermination de : « « Qui mérite d'être accusé d'être un fasciste » !!!!"
Le qualificatif "islamo fascistes" provoque inutilement la colère des musulmans de moins en moins nombreux qui ne nous détestent pas encore. En même temps il recouvre d'un même voile idéologique toutes sortes de situations, le Liban, la Palestine, les attentats dans des avions et dans le métro, l'Afghanistan, l'Irak, situations que nous avons pourtant besoin d'appréhender clairement et distinctement et de traiter d'une manière adéquate. Pas étonnant que les gens qui nous ont offert le désastre irakien raffolent de l'expression "Islamo fascisme."
Katha Pollitt est éditorialiste à The Nation.